Plein comme un œuf, le théâtre régional de Constantine a présenté, dans le cadre du théâtre maghrébin professionnel, la générale de « Ghadab El Achikine » ( La colère des amants), de Hamma Méliani, un enfant du CRAC, qui fera ensuite l'essentiel de sa carrière en France et décrochera une multitude de prix à travers le monde. La pièce débute par une sorte de cour des miracles où survivent des gueux, poussés à la misère par un système injuste qui écarte tous ceux qui ne lui sont pas utiles. « C'est un devoir de témoigner par le théâtre en évoquant notre époque par une fantaisie qui met en lumière les crimes et les violences de ce monde », souligne l'auteur. Entre un mur qui rappelle étrangement celui de la Cisjordanie, des similitudes retraçant l'occupation de l'Irak et un dictateur qui porte une tenue évoquant le règne du « petit père des peuples », ce sont autant de métaphores qui nous introduisent dans un monde imaginaire, mais ô combien réaliste, où l'hystérie « médiatico-militaire » écrase sur son passage toute aspiration à une vie digne, loin de la mondialisation avec tout ce qu'elle véhicule de hideux. Dans un monde fictif où la réalité fait le lit des malheurs de ce monde, dans un décor comme on aimerait en voir plus souvent, la brochette de jeunes comédiens de talent, encadrés par Antar Hellal et H'cène Benaziez, aussi talentueux, a carrément subjugué les spectateurs, ébahis par ces compétences, même si parfois des maladresses apparaissent dans le texte décliné en arabe classique, exercice que ne pratiquent pas très souvent les artistes du TRC. En toile de fond, il y a une histoire d'amour entre Ali et sa promise et entre celui-ci et sa mère ; cette dernière, par amour filial, bravera tous les dangers pour retrouver son fils, qui tient tête à toutes les dictatures. Tissant une ceinture de soie pour le retour de son fils, telle Pénélope dans l'attente de son Ulysse, Mama Fakila, puis Tchovka, sera le griot d'une pièce où elle tente de raconter son (ses) histoire(s), et par ricochet celle(s) des peuples opprimés. De son côté, et se démenant tel un diable dans son rôle de… diable, Antar Hellal donnera souvent le « La » au moment où la pièce voyait les fils de sa toile s'enchevêtrer à force d'allégories et de caricatures. Mais cela n'enlève en rien au mérite de l'œuvre de Hamma Méliani et de celui des comédiens qui se sont surpassés. La pièce, de l'avis de nombreux présents, est un chef-d'œuvre.