Betrouni Mourad considère, «inadmissible» la situation du laisser-faire qui prévalait, mais la justifie par le fait que l'autorité ne détenait pas les «outillages nécessaires pour y faire face». «La loi 98-04 relative à la protection du patrimoine culturel commence à peine à être appliquée», souligne-t-il. «C'est vrai que nous avons perdu 7 ans, mais ces textes sont sur le terrain. On est dans la phase opérationnelle car nous sommes arrivés avec cette loi (98-04) à élargir le champ du patrimoine, contrairement à l'ordonnance de 1967, qui traite uniquement des sites et des monuments.» La loi 98-04 intègre, à ses dires, une dimension «intégrale» du patrimoine, les notions «immatérielle et intangible» des biens culturels et a de ce fait «permis à la société de passer à un autre niveau de conscience». «Il y a une dizaine d'années, les temples romains étaient considérés étrangers, désignés comme étant le patrimoine des autres, maintenant les Algériens se les réapproprient et sont devenus les nôtres.». Il expliquera d'autre part que le «contexte post-indépendance» ne permettait pas de protéger le patrimoine car le pays n'avait ni les «capacités ni l'encadrement» nécessaires pour reprendre en charge les sites et monuments après le départ des Français. La loi française avait été reconduite par «précaution», le classement des sites et monuments est resté, à quelques éléments près, le même depuis l'indépendance. «Nous avons un inventaire des sites classés, qui sont au nombre de 500, un chiffre dont il ne faut pas parler tant il est insignifiant en comparaison à d'autres pays, moins riches en vestiges et moins grands en superficie». Cette situation due, justifie-t-il, au fait que le texte juridique portant inventaire des biens n'a été «promulgué qu'en 2003» et par le «défaut de fonctionnement de la commission nationale et des commissions de wilaya qui ont la charge de proposer au classement sur la liste de l'inventaire supplémentaire de nouveaux sites et monuments à protéger». Résultat, regrette-t-il, les autorités ne savent pas encore ce que recèlent les immenses réserves archéologiques. Précisant d'autre part que le registre des inventaires, avec la fiche comme instrument juridique, n'a vu le jour qu'en 2003. La parade au pillage et au trafic en tous genres d'objets du patrimoine ne peut se faire, d'après Betrouni, sans la mise en place d'une «stratégie commune» coordonnant l'action des services de l'Etat. Il faudrait aussi établir une «cartographie prévisionnelle» de tous les sites à protéger, passer à une autre «vision» où il sera question de «maîtrise globale» du patrimoine. «C'est la structure qu'il faut protéger car l'objet pris en dehors de celle-ci ne conserve que sa valeur muséographique et perd de sa consistance historique.» Les atteintes au patrimoine, fait-il remarquer, ne se limitent pas au vol de pièces archéologiques car il existe d'autres formes d'atteinte, notamment par le moyen d'interventions maladroites. Le préhistorien plaide également pour une action de l'Etat pour «rapatrier» les objets du patrimoine national exfiltrés à l'étranger. «Je peux vous dire à ce propos que l'essentiel des pièces remontant à cette période se trouve de l'autre côté de la rive.» Les mandibules de Tighennif, appartenant à notre plus vieil ancêtre, (l'Atlanthropus mauritanicus) en est, conclut Betrouni, la parfaite illustration.