Ce natif de Jijel est de ceux dont le parcours reste ignoré des hommes. «Le petit Benyahia», comme aime à l'appeler ses compagnons, en raison de sa corpulence fragile, suivra une scolarité qui le conduira du collège de Sétif, où il passera quatre ans, au lycée Bugeaud (l'actuel Emir Abdelkader) à Alger. Benyahia, «sujet remarquable» pour ses maîtres, fera des études de droit à l'université d'Alger. Pour Albert Paul Lentin qui le suivra de près, Benyahia, très actif dans le mouvement estudiantin, prépare aussitôt après son doctorat. Celui que ses amis appelleront toujours «Toto» s'inscrit en 1953 au barreau d'Alger avant d'assurer deux ans plus tard la défense de Rabah Bitat, écroué à la prison de Barberousse. Il en profitera pour assurer les liaisons avec Abane Ramdane qui venait d'être élargi. Celui-ci s'est fait fort, d'ailleurs, de rallier à la cause de l'indépendance les centralistes. Benyahia qui fut l'un d'eux rejoindra tôt le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) dont il se détachera après le conflit qui a opposé les centralistes avec le vieux leader nationaliste, Messali Hadj. Harcelé par les forces coloniales, Benyahia rejoindra les instances du FLN à l'extérieur et fondera avec des amis l'UGEMA. En août 1956, Benyahia sera désigné, au congrès de la Soummam, membre suppléant du CNRA. Avec la mise sur pied du GPRA, celui qui a secondé Ahmed Francis un temps sera coopté au poste de directeur du cabinet du président Ferhat Abbas lors du 2e GPRA. Après qu'il eut représenté l'Algérie à la conférence des étudiants afro-asiatiques à Bandoeng, le «mince Benyahia» sera le représentant permanent de l'Algérie en armes en Asie du Sud-Est avec un autre diplomate de renom : Lakhdar Brahimi. «Cet homme qui va de l'avant en dépit de sa santé chancelante» a fait partie de la délégation algérienne aux pourparlers de Melun en 1961. Comme le soulignera Gilbert Meynier dans son livre Histoire intérieure du FLN, le négociateur des accords d'Evian visitera, à l'occasion, les pensionnaires d'Aulnay, muni d'un passeport tunisien. Il en sortira que les historiques n'entraveront aucunement les négociations menées par le GPRA. Benyahia présidera la commission de sondages de la session houleuse du CNRA, tenue à Tripoli. Remarquant l'incurie des congressistes, il déposera sa démission et celle de ses deux collègues. Au lendemain de l'indépendance, l'homme au verbe caustique, comme le dira Harbi dans ses mémoires, a eu à affronter les préjugés des nouveaux maîtres de l'Algérie sur les «diplômés». Comme le fera remarquer Gilbert Meynier, le bureau politique du FLN, mis en place dans la douleur, ne comprenait aucun diplômé ; et parmi les candidats à l'assemblée constituante désignés par le bureau politique beaucoup furent écartés. Benyahia fut l'un d'eux et restera en retrait lors de cet «été de la discorde» avant d'être nommé ambassadeur à Moscou et à Londres. Ce mordu de Jacques Prévert organisa le Festival panafricain, une année après qu'il eut été désigné par Boumediène à la tête du département de l'Information en 1967. Il assurera plusieurs portefeuilles ministériels, dont celui de l'Enseignement supérieur, de 1971 à 1979, et celui des Affaires étrangères jusqu'à sa mort tragique. Ce diplomate au long cours a été l'artisan de la libération en janvier 1980 des 52 otages américains. Cette prouesse vaudra à celui qui est resté toujours un célibataire endurci le respect de quelques-uns et l'inimitié de beaucoup. Benyahia sera victime, une première fois au Mali, d'un accident d'avion qui lui a laissé des séquelles. Le «jeune renard aux traits aigus et à l'œil futé se distingue non seulement par une astucieuse subtilité, mais par une volonté de fer» ne survivra pas à un autre accident et mourra le 3 mai 1982 dans le crash de son avion à la frontière entre l'Irak et la Turquie.