Une tombe fleurie, des bougies allumées défiant le vent, deux dates sur l'épitaphe : 6 mai 1981-20 avril 2001. Nous sommes à Agouni Arrous. C'est ici que repose la première victime des événements de Kabylie. Guermah Massinissa s'apprêtait à fêter ses 20 printemps quand il a été ravi à l'affection des siens par une rafale de kalachnikov tirée par un gendarme à l'intérieur de la brigade de Beni Douala. C'était le 18 avril. Il succombera à ses blessures dans un hôpital algérois deux jours plus tard. Pour commémorer le huitième anniversaire de sa mort, des dizaines de personnes se sont retrouvées hier dans son village natal. Des fondateurs du mouvement des archs, des proches mais surtout des anonymes, à l'image de ces élèves du lycée où était scolarisé Massinissa. Ils ont tenu à faire le déplacement par devoir et pour la mémoire. C'est aux cris de « pouvoir assassin », « ulac smah ulac » (pas de pardon) « Ouyahia nous a trahis », que la procession se dirigera vers la tombe de Guermah Massinissa pour y déposer des gerbes de fleurs. Dans un coin, une banderole noire accrochée au mur rappelle la principale revendication du mouvement citoyen : le jugement des gendarmes assassins. « Non au retour des gendarmes assassins en Kabylie », stipule une autre pancarte. « Le président de la République dit ignorer ceux qui sont à l'origine des événements d'avril 2001. C'est très grave. Nous ne sommes pas de ceux qui oublient », dira Khaled Guermah dans son propos avant de nuancer : « Huit ans après ces tragiques événements, Bouteflika s'est incliné devant les martyrs du printemps noir. C'est dire que notre cause est juste. » Un blessé de Larbaâ Nath Irathen, qui a perdu sa jambe durant les événements tragiques qu'a vécus la région, ne trouve pas les mots quand il est invité à prendre la parole. La voix nouée par le chagrin et la colère, il raconte son calvaire depuis cette fatidique date. « Il y a eu des cas plus graves. Nous avons vécu le cauchemar. » Chertouh, une autre victime, ayant perdu son œil, pestera contre le pouvoir et ses relais locaux : « On ne s'est pas soulevés pour de l'argent mais pour vivre en liberté et dans la démocratie. » Pour Farès Oudjdi, ancien délégué des archs de la wilaya de Béjaïa, même si le mouvement citoyen est disloqué, il y a un espoir de le remettre sur les rails pour faire aboutir les points contenus dans la plate-forme de revendications d'El Kseur négociée avec le pouvoir central. Il appellera dans ce sens à transcender les divergences qui minent le mouvement citoyen ces dernières années. Un représentant de Boumerdès a axé son intervention sur les engagements non tenus par le gouvernement. « Ahmed Ouyahia nous a eus. Ce que nous voulons, c'est une réparation morale par le jugement des gendarmes assassins. » Dans leur prise de parole, les anciens délégués de l'interwilayas des archs (Sétif, Tipaza, Tizi Ouzou, Béjaïa ) ont insisté sur la nécessité de ressouder les rangs du mouvement à l'effet de faire aboutir leurs revendications. Belaïd Abrika clôturera en affirmant : « Notre dignité n'est pas à vendre. Nous disons barakat à l'impunité et à la politique de pourrissement et de division de la Kabylie ! » La journée commémorative s'est poursuivie par un recueillement sur la tombe du chanteur Matoub Lounès. Dans l'après-midi, le public était convié à une conférence-débat autour du thème « Pourquoi l'impunité et comment pouvoir juger les assassins des 126 martyrs du printemps noir 2001 ? » Selon l'une des avocates des victimes du printemps noir, ce dossier n'est plus une question de droit. « Des plaintes ont été déposées et des témoins (blessés) ont été entendus par la justice mais sans suite à ce jour. Ils refusent d'en haut ! », résume-t-elle dans son intervention .