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Avec l'électorat de «Tahaggart Echoumara»
Publié dans El Watan le 14 - 05 - 2007


Tamanrasset.
De notre envoyé spécial
Brahim a arrêté ses études en
2e AS, et à présent il est venu rejoindre le régiment de désœuvrés qui languissent du matin au soir à Tahaggart Echoumara dans l'attente d'un miracle autre qu'une élection propre et honnête. Le quartier porte bien son nom : «Tahaggart-Les-Chômeurs». Ou «Tahaggart-sur-Chômage», un bourg miséreux de la banlieue de Tamanrasset, dans le prolongement de Gataâ-el-oued. «Krahna !», lâche Brahim tout à trac. «J'en ai marre de ce ghetto où l'on meurt à petit feu. Les jeunes n'ont que le kif pour se consoler. Je veux partir à Alger ou à Oran. Ou même plus loin si je peux» ajoute-t-il.
Hadha haï mahgour. Ce quartier est banni. On vit dans la zoubia, au milieu des détritus.
La «baladiya» ne passe jamais pour le ramassage des ordures. Nos maisons de toub menacent ruine à chaque intempérie. Nous n'avons ni électricité, ni eau courante, ni éclairage public, ni route goudronnée, ni un terrain où jouer au foot. Nous sommes des laissés-pour-compte», peste encore Brahim. «Les Touareg sont méprisés, alors que ce sont les maîtres de cette ville», poursuit-il en pointant du doigt les «Chnawas», ainsi désigne-t-on à Tamanrasset et d'autres villes du Sud les «Blancs» du Nord. D'après lui, les gens du Tell ont tous les avantages au détriment des habitants de la région. Brahim a participé aux émeutes qui ont embrasé Tamanrasset durant l'été 2005 et il en est fier. «Nous nous sommes soulevés parce que nous n'avions pas d'autre choix. Personne ne voulait nous écouter», se justifie-t-il. «Makanche hal silmi. Il n'y pas de solution pacifique. Les Touareg n'ont aucun droit dans ce pays !», fulmine-t-il de plus belle.
Des niches électorales dans le ghetto
De ce panorama de toub, de chèvres et de poussière surgissent ça et là des drapeaux. Ils renseignent sur l'implantation de quelques permanences électorales soucieuses de faire dans la proximité. C'est le cas du FLN mais aussi de listes indépendantes particulièrement actives en milieu populaire, en l'occurrence la liste Wafa et Essaâda. Brahim ira-t-il voter le 17 mai prochain ? «Aucun de ces gens ne me convainc. Ihaoussou âla el maslaha. Chacun d'eux ne cherche que ses propres intérêts», dit-il. Néanmoins, Brahim compte exercer bel et bien son droit de vote (ou de veto) jeudi prochain. «Je voterai au pif. Nermiha hak wakhlass !», lance-t-il. Billal Messaoud, 33 ans, originaire de Bordj Badji Mokhtar, habite lui aussi à Tahaggart Echoumara. «Je suis venu ici pour l'amour d'une femme. Je me suis marié et je me suis installé», confie Billal. «Je n'ai pas de travail fixe. Je vis de petits boulots, essentiellement comme manœuvre en bâtiment. Je gagne dans les 400 DA/jour et sans assurance. Je travaille un jour sur deux. Je me pointe à Gataâ El Oued avec les «Africains» et j'attends. J'ai fait plusieurs demandes, en vain», raconte-t-il. Billal n'ira pas voter le 17 mai. «A vrai dire, je n'ai jamais cru au vote. Une seule fois dans ma vie, j'ai voulu voter en 2004 pour le raïs Bouteflika, mais j'ai eu un problème de papier. Franchement, toute cette agitation ne m'intéresse pas», dit-il.
Des listes machistes
Tamanrasset connaît une fébrilité sans pareille depuis le début de la campagne pour les législatives, le 26 avril dernier. 17 listes sont en compétition pour 4 sièges à pourvoir. Presque pas de femmes sur les listes dans une région pourtant connue pour l'emprise du matriarcat sur la vie sociale. Quelque 68 000 électeurs sont inscrits pour une population globale d'un peu plus de 200 000 habitants, dont plus de la moitié est établie à Tamanrasset-ville. Sur les 17 listes, 15 sont partisanes et 2 sont indépendantes.
Les têtes de liste les plus en vue sont sur tous les supports : panneaux publicitaires, taxiphones, cybercafés, marchands de babioles, boutiques artisanales, coiffeurs… Chaque jour s'offre aux Tamanrassetois, surtout en fin de journée, après la grosse canicule de l'après-midi, le spectacle de défilés peu habituels, ceux de cortèges de voitures, généralement des 4×4 ostentatoires, semblables aux cortèges nuptiaux à ce détail près que la coqueluche du jour n'est pas un homme convolant en justes noces mais un candidat hissé sur le pavois par les siens. L'ambiance générale rappelle celle des jours de l'Assihar, la plus grande foire commerciale de l'Ahaggar. Pour la circonstance, Tam se fait le théâtre d'une sorte d'«Assihar politique». Abderrahmane, un jeune vendeur d'objets artisanaux, exhibe le portrait de Abdelkrim Touhami, ancien consul au Niger et tête de liste du parti El Infitah. «Il est de mon patelin», argue-t-il. Keltoum, 25 ans, étudiante en topographie, roule, elle, pour Salem El Mghili, un commerçant qui dirige la liste de l'ANR-UDR. «Moi, je ne me suis jamais intéressée à la politique. C'est pour la première fois de ma vie que je vais voter. Je voterai pour cet homme parce qu'on le connaît bien. C'est un homme de bonne volonté. Toute ma famille le soutient», explique-t-elle.
Rivalités d'Amenokal (s)
On le voit tout de suite : Tamanrasset est une ville qui pue le pouvoir. Les luttes de pouvoir. Haut lieu d'une guerre féroce autour d'enjeux impérieux. Trop d'uniformes qui circulent, trop de 4×4 blindés. Trop de murs surplombés de miradors et sur lesquels est gravée la mention : «photo interdite». Siège de la 6e région militaire, un tribunal militaire, un aéroport militaire, des bases secrètes, des gisements d'or… Tamanrasset, c'est aussi les 48 wilayas fondues en une à quoi s'ajoutent 48 nationalités affluant de tout le continent, érigeant Tam en véritable tour de Babel.
Un territoire immense, des frontières incontrôlables, des nomades intraitables, des migrations à flux tendu, des trocs avec l'Afrique profonde, des transhumances, des mouvements de population incessants de part et d'autre des frontières, sur quoi vient se greffer un réseau de contrebande très bien organisé appelé «la mafia des Stations», prononcer «stachen», les fameuses Toyota qui fendent le désert à vive allure pour tromper la vigilance des douanes et des GGF. A quoi ajouter des groupes d'influence pro-Kadhafi et autres lobbys cryptés. Autant de spécificités qui font de Tamanrasset une région à part. Aussi une élection y prend-elle fatalement les allures d'un grand déballage contrôlé ? Et toutes les contradictions enfouies, tous les tabous refoulés, d'éclater au grand jour !
Siège de la mouhafadha du FLN sur la route de l'hôtel Tahat. 28°C. La permanence électorale est harnachée de banderoles et de posters. «El yad fel yad liimar Djazaïr el majd», claironne un slogan électoral. Dans son bureau, le mouhafadh en chef, Guemama Mahmoud, 61 ans, se présente pour la troisième fois consécutive, lui qui a consommé déjà deux mandats. Il assure que le vent de contestation qui a secoué les autres régions n'a pas touché la mouhafadha de Tamanrasset. M. Guemama récuse d'emblée les arguments de ceux qui accusent le FLN d'être un parti de caciques d'où les jeunes cadres sont exclus. Ancien compagnon de Benflis, Guemama ne jure que par «Fakhamate Erraïs», dont il loue le «machrouâ el qarn», le «projet du siècle» qui consiste à ramener de l'eau des nappes de In Salah sur 700 km, projet estimé à plus de 1 milliard de dollars. M. Guemama soutient que Tamanrasset n'a pas de problèmes et qu'elle connaît «une prospérité extraordinaire» comme en témoigne, argumente-t-il, l'essor de l'Enor, l'entreprise d'extraction de métaux précieux : «Chaque semaine, un avion spécial de l'Enor part de Tamanrasset avec un chargement de 3,5 quintaux d'or pur. Nous avons des gisements à Tirek, à Amessmassa, et cette entreprise a permis d'absorber le chômage», dit-il. Au bureau du RND, le frère rival, le tête de liste n'est autre que Ahmed Edaber, candidat à sa propre succession lui aussi. Neveu du côté maternel de Hadj Moussa Akhamokh, il est présenté comme le nouvel Amenokal après la disparition d'Akhamokh en décembre 2005.
En réalité, la question n'est pas tranchée puisque le sénateur Mohamed Hadj Moussa, fils de Hadj Moussa Akhamokh, est lui aussi prétendant au titre de «Soltane» des tribus de l'Ahaggar. M. Guemama se pose à son tour comme un digne descendant des plus nobles tribus du Hoggar, les Taïtok. «Pour moi, l'Amenokal est une notion qui a disparu en 1962», coupe-t-il. Edaber écarte de son côté tout amalgame entre la fonction d'Amenokal, autorité morale et personnage rassembleur, et celui de candidat partisan. Autre notabilité de la région : Ourzig Bilal, 65 ans, neveu lui aussi de Hadj Moussa Akhamokh et descendant de la tribu seigneuriale des Kel Ghella qui se réclame de la reine Tin Hinan.
Il s'est porté sur la liste RCD dont le bureau tamanrassetois venait à peine de s'ouvrir dans le quartier de Sersouf à notre passage. En face du RCD, un bureau du MSP. Assis en tailleur sur un tapis, des militants vêtus de blanc s'affairent à découper des affichettes à l'effigie de leur tête de liste, Touati Nadjem, 42 ans, un fonctionnaire de l'éducation nationale. Le MSP centre sa campagne sur la lutte contre la corruption : «Notre principal problème, c'est de nous déplacer vers les communes éloignées de la wilaya», se plaint Mohamed Djemaoui, chargé de la communication.
Campagne cacophonique à Sersouf Ferraille
A Sersouf Ferraille, autre quartier pauvre de Tamanrasset, plusieurs permanences électorales mènent une campagne cacophonique au cœur de ce cloaque lugubre et poussiéreux.
Un bureau de soutien est particulièrement animé. Alentour, des cortèges de voitures défilent au milieu d'un nuage de poussière, avec, sur le capot et les portes latérales, des affiches de Zennani Boudjemaâ, leader de la liste indépendante Wafa. M. Zennani est vice-président de l'APW de Tamanrasset. Toudji Ahmed, travailleur à l'Enor, gère le local aménagé pour la circonstance.
«Nous avons choisi cette liste, car les partis traditionnels monopolisent les postes. Il n'y en a que pour eux. Tous les députés précédents n'ont rien fait pour nous. Le quartier végète dans la misère. Chômage, hogra, marginalisation, nous n'avons bénéficié d'aucun des fruits du développement local. Rana m'hamchine. Même l'eau, nous sommes obligés de l'acheter à raison de 500 DA le jerrican de 10 litres. Notre liste est la liste des mahgourine», explique-t-il. Dans le même bourg, une liste rivale : celle d'Essaâda, liste apparentée à Mohamed Hadj Moussa, le fils d'Akhamokh.
L'homme ne brigue pas la députation pour avoir été pris comme sénateur dans le tiers présidentiel, et c'est un certain Eddah Bouchah qui mène la liste.
«Partout des Sarkozy !»
Retour à Tahaggart Echoumara. Franck, un jeune originaire du Congo, fait partie de cet immense «électorat informel» formé de contingents de sans voix.
Des milliers de sans-grade qui sont visibles physiquement mais guère politiquement. Franck qui vivote de petits boulots, cherche quelque chose à manger, pour lui et pour ses vingt-quatre camarades qui dépérissent clandestinement dans les rochers de granit qui ceignent Tamanrasset. «Je travaille occasionnellement. Je suis là depuis huit mois et je ne sais pas si je vais pouvoir continuer mon chemin», dit-il. A bout, réduit à une lutte de survie, il ne se sent guère concerné par le cirque électoral qui fait courir Tam et qui rend fous ses notables. Traqué partout, il lâche, excédé : «La police nous harcèle. On n'est tranquilles nulle part. Il y a des Sarkozy partout !»


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