De l'avis de nombreux observateurs, ces législatives sont fortement marquées par des considérations tribales, ici, à Tamanrasset. « Cette élection est la première depuis la mort d'Akhamokh, le défunt Amenokal », fait remarquer Mohamed Bilal, journaliste et observateur avisé de la scène politique locale. « Sous l'autorité d'Akhamokh, les dissensions tribales étaient plus ou moins tues. Il y avait une sorte de consensus sous lequel se rangeaient tous les Touareg. Avec sa mort, les luttes claniques ont éclaté au grand jour et les partis sont devenus l'expression de sensibilités ethnico-raciales », dissèque-t-il. Esquissant une analyse sociologique de l'électorat tamanrassetois, il distingue trois gros segments démographiques : « Il y a les Targuis, les Arabes et les Noirs, les « hartania » qui étaient jadis des esclaves. Chacun de ces segments constitue la base d'un courant électoral majeur », dit-il, avant de poursuivre : « Il y a une catégorie importante qu'on appelle « les Aribate » qui sont les Arabes du Niger et du Mali. Ceux-là sont venus ici pour fuir la persécution. Ils sont en quête de papiers et de légitimité. Leur seul souci est la régularisation de leur situation administrative. Ils ont été au début proches du FLN mais ils ont été déçus par l'hégémonie de ce parti. Ils sont regroupés principalement autour de la liste El Wafa. Ceux d'Essaâda sont en gros des Touareg. Ligués derrière Mohamed Akhamokh, ils se sont rebellés contre le RND auquel était apparenté Hadj Moussa Akhamokh. Les « hratna », eux, aspirent à une visibilité politique. Vous remarquerez que rares sont les listes qui sont menées par des Noirs. C'est vous dire l'emprise des vieilles traditions. Voir un targui noble ou un Arabe blanc supplanté par un Noir est une hérésie ! » Ce diagnostic est partagé par Benmalek Abderrahmane, enseignant, ancien cadre FLN et actuellement membre du bureau de wilaya de l'association nationale des zaouïas. « Quand on examine les listes, on voit tout de suite qu'elles sont concoctées pour nombre d'entre elles sur une base « arouchia ». Nous n'avons pas des partis politiques mais des « tawaïf », des « sectes ». Les tribus touareg sont partagées entre plusieurs listes comme en témoigne la dispersion de leurs chefs entre le FLN, le RND, le RCD et la liste des indépendants », analyse-t-il. D'après lui, l'état civil à Tamanrasset est un véritable maquis administratif et cette situation a été l'enjeu de moult tractations politiciennes. « C'est le problème de toutes les régions frontalières. Il n'y a pas de frontières sans complication. L'assainissement de l'état civil nécessite une décision politique », tranche notre interlocuteur. « Cette population de déplacés, de déclassés, est un réservoir électoral exploité au gré des scrutins, suggère Benmalek Abderrahmane, « comme ce fut le cas en 1991 pour contrer le FIS ». « Les conditions historiques, économiques, la sécheresse ont imposé des migrations avec leur lot de ruptures. Il y a eu des vagues migratoires successives depuis les années 1950. La régularisation n'a pas suivi. Ces gens tentent de revenir et d'avoir leurs papiers par tous les moyens. Cette frange de la population a toujours été sujette à toute sorte de marchandages électoralistes. Beaucoup ont tenté de puiser dans ce réservoir de voix et l'exploiter politiquement. S'ils votent pour vous, ils sont éligibles à l'intégration et à la citoyenneté. S'ils ne marchent pas, ils sont aussitôt taxés d'intrus et d'étrangers. »