Istanbul : Correspondance particulière La semaine dernière, l'échec du Parlement à élire l'unique candidat en lice à la présidentielle, Abdullah Gül, faute d'un boycott, a été vécu comme un coup dur pour le Parti de la justice et du développement, l'AKP, qui détient dans les faits une majorité confortable avec plus de 60% des sièges. Alors que les regards se tournent désormais vers les élections législatives anticipées qui se dérouleront le 22 juillet, le texte proposé par les islamistes dits modérés et adopté par une majorité de députés, prévoit le passage des élections présidentielles au scrutin universel direct. Fort d'un important soutien populaire et d'un bilan économique positif, ce suffrage garantirait l'élection du candidat AKP. Mais avant de voir les Turcs élire le chef de l'Etat, l'actuel président de la République, Ahmet Necdet Sezer, doit apporter sa signature au texte. Fervent laïque et souvent en désaccord avec le gouvernement Erdogan, celui-ci a d'ores et déjà fait savoir qu'il opposerait son veto, jugeant la loi anticipée. Ironie de la législation, le Président n'a le pouvoir d'exprimer son refus qu'une seule et unique fois. Seule solution, jouer la carte du calendrier. Selon les commentateurs, Sezer devrait probablement soumettre le texte à un référendum populaire, dont l'organisation serait improbable avant l'automne. Les citoyens ne voteraient donc pour leur Président qu'aux prochaines élections, en 2014. «Ni charia ni coup d'état» Retour sur les faits. Après Ankara et Istanbul, plusieurs villes turques ont été le théâtre de démonstrations en faveur de la laïcité et de l'unité nationale. Des centaines de milliers de personnes vêtues aux couleurs du drapeau rouge et blanc, composées principalement de femmes, réunies avec pour slogan «Ni charia ni coup d'Etat». Un moyen de pression venant de la rue sur le gouvernement AKP accusé de vouloir islamiser le pays en catimini. Si le passé islamiste de Gül pose problème, sa femme Hayrunisa n'échappe pas à la polémique. Hors de question pour les nationalistes de la gauche républicaine de voir une femme voilée accéder au palais présidentiel. Cette même madame Gül qui avait saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour s'être vu refuser l'inscription à l'université en raison de son voile. Une offense à la mémoire du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, pour les fervents défendeurs de la laïcité, principe inscrit dans la Constitution depuis la création du régime républicain, en 1923. Si la Turquie est un pays à large majorité musulmane, ce fondement est considéré comme un garde-fou qui empêcherait quiconque qui projetterait d'islamiser le pays. Le port du voile est strictement interdit pour les employées du service public et dans les universités. Et si les femmes politiques ou épouses de hauts responsables ne sont pas mentionnées dans la Constitution, les nationalistes kémalistes entendent bien faire respecter le principe de séparation de la religion et de l'Etat. Ils ne sont pas les seuls. Les militaires n'hésitent plus à hausser ouvertement le ton. Ces gardiens autodéclarés du kémalisme ont renversé le pouvoir civil pas moins de quatre fois en un demi-siècle. Un coup d'Etat de plus ? Moins évident cette fois, puisque les temps ont changé. Et s'il faut rendre à César ce qui lui appartient, chacun admet que c'est l'AKP qui vient de sortir le pays d'une grave crise économique, et a impulsé les négociations d'adhésion à l'Union européenne. Les responsables de l'état-major craignent surtout de poser ceux qu'ils considèrent comme ennemis potentiels de la République de Turquie en victimes de libertés fondamentales.