On prend les mêmes et...on recommence. C'est précisément cette candidature de M.Gül qui a provoqué les législatives anticipées de juillet dernier. Le Parti pour le développement et la justice (AKP, issu de la mouvance islamiste modérée) va présenter aujourd'hui au vote du Parlement son candidat à la succession du président sortant, Ahmet Necdet Sezer, dont le mandat s'est achevé en mai dernier. Lors du scrutin avorté d'avril, Abdullah Gül a buté sur l'absence de quorum due au boycott de l'élection par le CHP (Parti républicain du peuple) opposé à la venue à la tête de l'Etat turc d'un islamiste, même si M. Gül affirme sa conversion au «conservatisme». De fait, le CHP boycottera à nouveau demain le scrutin devant désigner le futur président, poste auquel postule Abdullah. Gül, candidat de l'AKP, et Sabahattin Cakmakoglu de l'Action nationaliste (MHP, droite), dont le parti a réintégré le Parlement lors des législatives de juillet. Le MHP dispose de 70 sièges. Toutefois, il est évident que le suspense n'existe pas et que Abdullah Gül sera, au soir du deuxième ou troisième tour, le prochain président turc. Avec 341 députés, l'AKP dispose largement de la majorité absolue (276 voix) pour faire élire son candidat au troisième tour. Cependant, la majorité des deux tiers (367 voix) est nécessaire pour devenir président de la Turquie dès le premier tour. La participation du MHP, qui présente un candidat, et du Parti pour une société démocratique (DPT, prokurde qui dispose de 20 députés) garantissent le quorum qui donne sa légalité au scrutin et élimine ainsi le risque d'invalidation pour absence de quorum comme cela a été le cas en avril dernier, cela malgré le boycott annoncé du CHP (124 députés dans le nouveau Parlement). En effet, en désignant un challenger à M.Gül, le MHP confirme son intention de prendre part à cette consultation et par la même occasion permet au scrutin de se tenir normalement. Analystes et observateurs estiment que le scrutin ira jusqu'au troisième tour à l'issue duquel M.Gül -qui n'aura besoin que des voix de son parti- est assuré de décrocher la magistrature suprême de l'Etat. Donc, aujourd'hui, le Parlement aura à désigner, lors d'un vote qui s'annonce symbolique, le successeur d'Ahmet Necdet Sezer. L'heureux élu qui sera le 11e président de la République de Turquie sera choisi entre les deux candidats Abdullah Gül - actuel ministre des Affaires étrangères du gouvernement sortant du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan - et son challenger, Sabahattin Cakmakoglu, 77 ans, ancien ministre de la Défense et membre du Parti de l'action nationaliste. Homme politique expérimenté, Sabahattin Cakmakoglu a été brièvement ministre de l'Intérieur en 1991, puis ministre de la Défense entre 1999 et 2002. Toutefois, ses chances de se faire élire sont quasi nulles face au candidat de l'AKP. Les députés présents seront appelés à s'exprimer par bulletin secret pour choisir leur candidat à la magistrature suprême pour un unique septennat. Contrairement au précédent épisode d'avril, l'élection d'aujourd'hui aura, selon toute vraisemblance, les contours d'une simple formalité. L'armée turque qui a été en avril à la tête des opposants à la candidature d'Abdullah Gül à la magistrature suprême n'a, jusqu'à hier, émis aucun commentaire quant au choix du candidat pour la présidence, le même candidat déjà refusé (en avril) par l'armée turque, gardienne de la laïcité et de l'orthodoxie kémaliste. Prié jeudi de dire son sentiment quant à la nouvelle candidature de M.Gül, le chef de l'armée turque, le général Yasar Büyükanit, a déclaré, cité par la chaînes satellitaires turques, CNN-Turk et NTV «Je ne parlerai pas, quand je parle, je suis mal compris». Le général Büyükanit a néanmoins parlé, précisant que le «nouveau président» devait «refléter dans la pratique» qu'il est «attaché aux valeurs républicaines, dont la laïcité, principe fondateur» de la Turquie. Pourtant, il y a dix ans, à l'époque du gouvernement de Necmettin Erbacan, les généraux n'avaient pas hésité à renverser un gouvernement jugé trop islamiste et dans lequel M.Gül avait rang de ministre d'Etat. C'est dire que les temps ont évolué et ne sont plus aux coup d'Etat en Turquie, ni au maximalisme islamiste. Aussi, M.Gül, sans doute le futur président turc, a-t-il affirmé aux journalistes, après avoir annoncé sa candidature, que «le renforcement et la défense des valeurs républicaines édictées dans la Constitution, ce sera ma priorité». M.Gül précisa le lendemain aux journalistes après avoir rencontré des dirigeants syndicaux: «Si je suis élu, les principes fondamentaux de la Constitution seront mon guide. Je vais abandonner ma personnalité politique et devenir impartial.» Cependant, personne n'a oublié que son opinion était autre dans les années 90 lorsqu'il prenait position contre la laïcité. C'est sans doute cela qui faisait peur aux laïcs convaincus, à leur tête le président sortant, Ahmet Necdet Sezer, qui a fait la vie dure au gouvernement Erdogan lui refusant la nomination de plusieurs ministres. M.Sezer semble être revenu à de meilleurs sentiments. D'ailleurs, alors que le Premier ministre lui présentait jeudi sa liste du nouveau gouvernement, M.Sezer demanda à M.Erdogan de présenter celle-ci au nouveau chef de l'Etat qui sera élu aujourd'hui ou demain. «Sans même accepter ni regarder la liste, M.le président m'a dit qu'il était préférable que je la présente à son successeur», a dit M.Erdogan aux journalistes au sortir de l'entretien, se félicitant «d'une attitude très positive» du président Sezer.