Le chef de l'Etat turc, Ahmet Necdet Sezer, a rejeté la nouvelle loi instaurant l'élection du président au suffrage universel et a renvoyé le texte de la réforme à ses concepteurs, les islamistes majoritaires au Parlement. L'AKP, leur parti coincé par la procédure, n'a d'autre solution que de jeter l'éponge, du moins pour ce qui concerne la présidence de la République qu'il pensait à sa portée. Le président sortant a jugé, dans une longue argumentation, que le changement de régime visé par la réforme du gouvernement aux couleurs de l'AKP n'a pas de justification ni de raison acceptables et qu'il a été adopté sans aucun débat sur le sujet. Les modifications à la loi fondamentale présentée sous forme de modernisation visent à soumettre l'élection du président de la République au suffrage universel et pour un mandat de quatre ans. Erdogan, le Premier ministre islamiste, avait annoncé que si le président rejetait la loi, son parti lui renverrait le texte sans modifications, mais ce dernier pourra convoquer un référendum et les laïcs sont prêts à cette éventualité. Mais, selon les observateurs, l'AKP aura des difficultés à faire adopter une nouvelle fois le texte de sa réforme en raison du calendrier électoral serré. L'AKP avait fait adopter les amendements instaurant le suffrage universel pour l'élection du chef de l'Etat après son échec à faire élire, par la voie parlementaire, son candidat à la présidence, le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül, figure influente de la mouvance islamiste dont l'épouse porte d'ailleurs le foulard, signe ostensible de l'appartenance à l'islam politique dans la Turquie institutionnelle. Gül, seul candidat en lice, s'était retiré de la course électorale au Parlement, car il ne parvenait pas à obtenir le quorum de 367 députés nécessaire pour lancer un vote. L'armée, qui a fait tomber quatre gouvernements depuis 1960, était en outre intervenue par le biais d'un communiqué accusant en termes à peine voilées le gouvernement de ne pas faire assez pour défendre la laïcité et avertissant qu'elle était prête à le faire elle-même le cas échéant. Le gouvernement a rappelé les généraux à l'ordre, mais la crise politique a contraint l'AKP à anticiper les élections législatives, initialement prévues en novembre, au 22 juillet. Des millions de laïcs n'arrêtent pas de manifester pour affirmer leur attachement à la laïcité, instaurée par le père fondateur du pays : Mustafa Kemal Atatürk, l'icône de l'armée. D. Bouatta