Suite aux restrictions prises pour contrer l'avancée du tabagisme dans les pays industrialisés et voyant le nombre de fumeurs décliner ou se stabiliser, les fabricants de tabac ont pris pour cibles les pays en développement où la régulation de ce produit est inexistante ou faible en profitant de l'ignorance des populations sur les méfaits du tabac et de la cupidité de certains intermédiaires. Ainsi, la production mondiale de tabac a augmenté dans les pays en développement de 128% entre 1975 et 1998. Tout comme dans les pays les plus riches, les enfants dans les pays en développement forment la cible de prédilection des cigarettiers. Qu'en est-il en Algérie ? Toutes les études menées par des scientifiques auprès des différents segments de la population de notre pays montrent à l'évidence que le fléau de tabagie se développe de façon alarmante, que les consultations d'aide au sevrage sont à l'état embryonnaire, voire inexistantes à l'échelle du pays, que l'action de prévention en direction des préadolescents et adolescents dans les écoles tout aussi embryonnaire. Quasiment, tout reste à faire pour combler un énorme retard. Et pourtant, dès la fin des années 1970, un certain nombre de nos maîtres de la faculté de médecine avaient déjà commencé à attirer l'attention des pouvoirs publics sur les dangers futurs du tabagisme en Algérie en initiant des enquêtes. Le futur d'hier, c'est aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ? Actuellement, il semble se développer une profonde modification des habitudes tabagiques dans notre pays, notamment par l'âge de plus en plus bas de la prise de la première cigarette notamment à l'école, en même temps que se développe heureusement une prise de conscience sur les dangers potentiels du tabagisme. Au cours de ces dernières années, le pays s'est doté d'un arsenal juridique et réglementaire des plus modernes, en particulier depuis la ratification de la Convention cadre de lutte contre le tabac de l'OMS en 2006. L'objectif final de toute stratégie de lutte antitabac est de réduire l'incidence des maladies, des décès prématurés et de la morbidité découlant de l'usage du tabac, car elles constituent à la fois une souffrance pour les individus et un poids économique pour les Etats. La convention cadre de l'OMS va nous offrir un cadre et un instrument international capable de placer la santé publique au-dessus des intérêts particuliers. C'est un traité fondé sur des bases factuelles qui réaffirme le droit de tout un chacun de bénéficier du meilleur état de santé possible, insistant, entre autres, sur les stratégies de réduction de la demande et sur les questions d'offre, permettant une vigilance soutenue sur les actions d'une industrie dont la viabilité économique repose entièrement sur le recrutement de nouveaux et jeunes consommateurs, notamment dans les pays les plus pauvres. Mais cela, encore une fois, ne sera possible que si l'Etat agit comme pour la ceinture de sécurité dans les automobiles, pour mettre fin, entre autres, à ce spectacle misérable d'enfants vendant des cigarettes au détail à d'autres enfants à la sortie des écoles. La problématique de la lutte contre le tabac implique la mise en œuvre de stratégie qui devrait relever de la seule puissance publique, qui encouragerait, les actions des sociétés savantes, de la société civile à travers les associations locales régionales ou nationales. De même, grâce à des actions initiées et financées par l'Etat dans le cadre d'une approche globale de la lutte antitabac, on parviendra à dissuader les gens de commencer à fumer et à les faire renoncer à la cigarette, grâce à une série de mesures de santé publique comprenant, notamment, une politique de prix, des restrictions à la publicité, à la promotion et au parrainage, la réglementation du conditionnement et de l'étiquetage, des campagnes d'éducation, l'interdiction de fumer dans les lieux publics et des services d'aide au sevrage tabagique, mais aussi en veillant à la qualité des tabacs mis sur le marché par des contrôles de qualité répondant à des critères scientifiquement stricts et en luttant contre la contrebande et la contrefaçon. Le panachage de mesures préventives et thérapeutiques efficaces permettra d'éviter un nombre nettement plus important de décès liés au tabac dans les décennies à venir que la prévention seule. Les programmes de sevrage tabagique destinés aux adultes sont indispensables pour améliorer rapidement l'état de santé de la population au cours des 20 ou 30 prochaines années, car les effets de la prévention auprès des jeunes pour éviter qu'ils ne commencent à fumer ne se feront sentir qu'au bout de plusieurs dizaines d'années. La tabagie, actuellement considérée par l'OMS comme étant une maladie, ne saurait être combattue par les seuls médecins, car les médecins et autres thérapeutes ne peuvent être pleinement efficaces avec leurs méthodes médicamenteuses ou comportementales que lorsque le fumeur est déjà sous l'emprise du tabac, ce qui souvent se passe à un moment où il est déjà trop tard, (même s'il est classique de prétendre qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire), par contre ils peuvent être la sonnette d'alarme pour la société entière : ce qu'il essaye de faire tant bien que mal, car le tabagisme, pour des raisons souvent plus ou moins légitimes, dans les pays sous-développés (en voie de développement ou émergents : c'est selon) passe au second plan des priorités. La responsabilité du tabac dans la genèse du cancer est clairement établie scientifiquement, même si des intérêts financiers extrêmement puissants brouillent ce message, en le polluant entre autres par une désinformation puissante et massive. Actuellement, 40% des cancers sont, pour l'OMS, liés au tabac. Dans les pays comme l'Algérie, seule la prévention primaire peut être payante à court, moyen et long termes, en épargnant des vies humaines et en faisant faire des économies sur les coûts de santé et permettraient de dégager de nouveaux gisements financiers pour traiter d'autres cancers ou maladies. Ainsi, dans la grande majorité des plans et programmes nationaux de lutte contre le cancer, les mesures concernant la lutte contre le tabac occupent une place prépondérante. L'auteur est chirurgien thoracique