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Pr Salim Nafti. Chef de service de la clinique des maladies respiratoires à l'hôpital Mustapha
« Il faut agir vite contre ce fléau »
Publié dans El Watan le 31 - 05 - 2007

Quelle est la situation du tabagisme en Algérie ? « Fumer est dangereux pour la santé ». Il est rare de trouver un domaine médical réunissant un tel consensus, une telle unanimité. Pourtant, le tabac est très répandu et se maintient, car fumer est une véritable toxicomanie : légale et encouragée. Fumer est un véritable fléau planétaire. 1,5 milliard de personnes fument dans le monde. 5 millions de personnes (12000 j) meurent par an d'une pathologie liée au tabac. En 2020, il est prévu 10 millions de décès/an dont 2/3 dans les pays en voie de développement. L'OMS, initiatrice de la Journée mondiale sans tabac, fait de la lutte antitabac une de ses priorités et cherche à promouvoir une action coordonnée des Etats. Sur le plan collectif, la législation vise la prévention : augmentation des prix, prévention du tabagisme passif, interdiction de la publicité, mises en garde sanitaires sur les paquets. En Algérie, la situation est épouvantable, elle est illustrée par le règne inviolable de la contrebande (profils incommensurables), utilisant des stratégies immorales, utilisant les enfants (vente à la sauvette de cigarettes nocives), marginalisant l'industrie nationale du tabac.
Qu'en est-il des politiques de santé ?
La politique de santé dans le domaine de lutte contre le tabac se résume en de fugitives célébrations annuelles du 31 mai sans réelle répercussion et sans … lendemain ! L'Algérie n'est pas considérée comme un producteur de tabac. La quantité de tabac produit est très faible (- de 10% de la consommation locale). Le pays est confronté au problème de la contrebande qui représente le tiers de son marché. Si la lutte antitabac ne prend pas en considération les 2 dimensions, nationale et internationale, un programme national, même parfait, risque d'être annihilé. La consommation est estimée à 30 000 t avec un accroissement annuel en moyenne de 5% et une consommation moyenne d'environ 1800 cigarettes par habitant et par an. L'importation des cigarettes étrangères a repris durant les années 1990 après une interruption temporaire imposée après 1988 suite à la crise économique. Puis, vint la libéralisation de l'importation du tabac au début des années 2000, durant lesquelles 97% du tabac consommé sont importés ! L'Etat ne maîtrise plus le marché et le tabac de contrebande foisonne ! Les caractéristiques du tabac en Algérie ne sont conformes à aucune réglementation : additif d'hydrocarbures aromatiques et non aromatiques pour empêcher le dessèchement de la cigarette. Les résultats des différentes enquêtes sur le tabagisme retrouvent pour la population générale en 2003 : 44% de fumeurs de sexe masculin pour 6% du sexe féminin et 5% pour les moins de 15 ans (enfants). Il est à noter que durant les années 1990, le taux de consommateurs de tabac a diminué car le taux d'ex-fumeurs a triplé et le taux de non-fumeurs a doublé par rapport aux années 1980. En milieu scolaire, une étude menée en 2001 dans la région Est de la capitale (Hussein Dey-Kouba) a retrouvé, selon les paliers de scolarité, les chiffres suivants :
dans le primaire (5 - 11 ans) 3% de fumeurs ;
dans le moyen (12 - 14 ans) 12% de fumeurs ;
dans le secondaire (15 - 17 ans) 26% de fumeurs. A l'université, une étude menée auprès des étudiants en médecine en 2003 retrouve 16% de fumeurs, dont 93% de garçons contre 7% des filles. Chez les professionnels de la santé, on a retrouvé que 44% des médecins fumaient contre 39% de paramédicaux. Cette catégorie devait en principe donner l'exemple ! L'épidémie du tabagisme est une menace pour la santé de la population algérienne avec des répercussions socio-économiques très importantes dans les prochaines années. La population algérienne comptait 33 millions d'habitants en 2005 (63,5% ont moins de 30 ans). Sous l'effet de la transition épidémiologique et du développement des facteurs de risque et notamment du tabagisme chez les jeunes, les pathologies liées à ce fléau (cardiovasculaires, respiratoires, cancers…) vont connaître un essor considérable au cours des 20 prochaines années. En Algérie, le tabac est responsable de 15 000 décès par an :
7000 infarctus du myocarde ;
4000 cancers bronchiques ;
2000 insuffisants respiratoires. Chaque année, 30 000 nouveaux cas de cancer sont diagnostiqués. Augmentation de 50% entre 1985 et 2005. La prévalence a triplé en 20 ans. Le nombre de malades hospitalisés pour IDM dans les services de cardiologie d'Alger a doublé en 10 ans (1995-2005) et la notion de tabagisme est retrouvée dans 69,33% des cas. La mortalité chez l'homme est essentiellement liée au cancer du poumon dont l'incidence connaît une progression inquiétante et de plus, fait nouveau, il touche l'adulte jeune, le pic de fréquence est passé de 63 ans en 1975 à 51 ans en 2005. Les registres de cancers mis en place depuis les années 1980 montrent que l'incidence du cancer bronchique est passée à la fin des années 1980 : 9 à 12 cas pour 100 000 habitants et en 2005 de 25 cas/100 000 habitants.
Est-il possible de réduire l'ampleur du fléau du tabagisme en Algérie ?
Le tabac représente une menace certaine pour la santé dans notre pays, il est temps d'agir et vite. Comment ? — Renforcer les campagnes d'information et de sensibilisation de la population en général et des jeunes en particulier sur les dangers du tabac et les dissuader de fumer ; — Convaincre mais surtout aider les adultes à renoncer au tabac ; augmenter de manière conséquente le prix du tabac afin de rendre difficile l'accès au tabac ; — interdire la vente du tabac aux enfants et aux mineurs (interdire la vente au détail) ; — Faire appliquer l'interdiction de fumer dans les lieux et les transports publics (bus, avions, trains…) ; — Faire obligation aux entreprises de faire respecter l'interdiction de fumer en milieu de travail, avec obligation de respect d'espaces de non-fumeurs dans les entreprises (respect des non-fumeurs et rappel des risques du tabagisme passif) ; — Encourager les entreprises pour arriver à une interdiction totale du tabac sur les lieux de travail. Grâce à des instructions fermes, mettre en place des « écoles sans tabac » et faire respecter l'interdiction de fumer dans l'ensemble des établissements scolaires. Pour les élèves, les enseignants et les chefs d'établissement veilleront à l'application de ces dispositions. Il est aussi important d'inclure dans le cursus d'enseignement des programmes d'éducation et d'information sur les dangers du tabagisme destinés aux élèves où les enseignants doivent être largement impliqués. Faire appliquer l'interdiction de la promotion du tabac, mobiliser les associations dans la lutte contre le tabac, mettre en place des consultations d'aide au sevrage tabagique dans les structures hospitalières, les centres de médecine du travail… La convention cadre antitabac de l'OMS est le premier traité international de lutte contre le tabac dont l'objectif principal est de diminuer la mortalité due au tabac. Ratifiée en mars 2006, par le président de la République, la convention -adre représente le principal instrument juridique, en faisant de la lutte antitabac une exigence prioritaire et absolue.
Comment peut-on organiser la consultation au sevrage tabagique ?
Bien que la plupart des fumeurs se déclarent désireux de diminuer ou d'arrêter le tabac, leurs tentatives sont souvent infructueuses. Les méthodes proposées pour les aider sont encore souvent empiriques et d'une efficacité discutable. Les médecins ont un rôle de premier plan à jouer, un simple avertissement pouvant être l'initiateur de l'arrêt. La consultation antitabac « idéale » devrait impliquer activement le patient dans le traitement, développer sa motivation et l'assister dans les mois suivant l'arrêt. Parallèlement, elle devrait permettre d'évaluer les différentes méthodes avec une validation des résultats par des mesures objectives. Le problème majeur actuel du sevrage tabagique reste le maintien de l'abstinence. C'est sur ce point que doivent porter nos efforts en développant des stratégies de maintenance, mais aussi, au niveau sociologique, en diminuant les pressions environnementales incitant à fumer. Si l'on souhaite diminuer les conséquences pathologiques du tabagisme, l'objectif prioritaire devrait être de diminuer le nombre de nouveaux fumeurs et d'agir en direction des enfants, l'arrêt du tabac étant par la suite difficile à obtenir. On sait que le facteur important de succès réside dans la motivation des sujets et que la fréquence des rechutes dans la première année reste le problème majeur des méthodes d'arrêt. Il convient non seulement de développer les stratégies de maintenance, mais de diminuer les pressions environnementales incitant à fumer. L'ouverture de la première consultation antitabac en Algérie a eu lieu le 31 mai 2004 au service des maladies respiratoires au CHU Mustapha. En trois ans d'activité, 2197 malades ont été suivis à la consultation, parmi lesquels 593 soit 27% ont arrêté définitivement de fumer, 329, soit 18%, ont rechuté. Il est à signaler que 58% soit 1275 de l'ensemble des patients, ont été perdus de vue car non motivés et surtout n'ont pas pu bénéficier de substituts nicotiniques ni de psychothérapie.
Qu'en est-il du tabagisme passif ?
Le tabagisme passif se définit comme une exposition à la fumée de tabac dans l'environnement. Cette exposition est responsable de troubles pour les personnes involontairement exposées à la fumée de tabac et pour induire la survenue et aggraver certaines pathologies. Si les principales victimes du tabagisme sont les fumeurs eux-mêmes, il a été démontré que les effets de la fumée du tabac sur la santé des autres sont aussi importants, surtout quand cette exposition se fait dans les lieux couverts et clos. Les personnes sensibles au tabagisme passif sont les nouveau-nés, car leur nez ne filtre pas les poussières et les particules comme celui de l'adulte, les malades respiratoires : asthmatiques, bronchitiques, car ils ventilent plus que les sujets normaux ; de plus, leurs bronches sont plus sensibles à la fumée du tabac ; les cardiaques : les coronariens sont sensibles à l'augmentation du taux de monoxyde de carbone (CO) dans l'air ambiant et les femmes enceintes qui exposent le fœtus à la fumée du tabac et lors de l'effort car le volume inspiré peut être multiplié par 6. L'excès du risque de développer le cancer bronchique par rapport à une personne non exposée est de 26%. Il existe une relation dose-effet. Pour les cancer ORL, le risque est multiplié de 2 à 6 fois par rapport aux personnes non exposées. Quant aux maladies cardiaques, ce risque est de 25 % par rapport à une personne non exposée. Chez les sujets adultes asthmatiques, l'exposition au tabagisme passif s'accompagne d'un excès de symptômes, d'utilisation de traitement et d'hospitalisation par rapport à ceux qui ne sont pas exposés. Chez l'enfant asthmatique, la meilleure estimation fait apparaître un excès de crise d'asthme de 14% quand le père fume, 28% quand la mère fume et 52% quand les deux parents fument. L'augmentation du risque est de 29% si la mère ne fume pas, mais qu'un autre membre de la famille (père) fume. On retrouve aussi les affections de l'oreille avec des taux de 48% pour les otites récidivantes, 38% pour les épanchements de l'oreille et 21 % pour les enfants qui consultent pour écoulement de l'oreille. Le risque de retard de croissance intrautérin est estimé à 11% pour les enfants de mère exposée au tabagisme des autres. Par ailleurs, l'augmentation de risque de mort subite du nouveau-né est multipliée par 2 quand la mère fume. Afin de de multiplier les consultations d'aide au sevrage tabagique, la Société algérienne de pneumophtisiologie organise des stages de formation au sevrage tabagique destinés aux médecins par l'organisation d'un module de tabacologie. Les collègues qui sont intéressés par cette formation peuvent se rapprocher du service des maladies respiratoires au CHU Mustapha pour de plus amples informations sur les modalités pratiques de cette formation.


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