Le procès intenté contre Me Chatri est «une des manifestations flagrantes d'atteinte aux droits de la défense» que les robes noires veulent dénoncer. Le barreau d'Alger est depuis une semaine déjà en situation de boycott des audiences de la nouvelle cour de la capitale pour protester contre le fait de ne pas avoir prévu dans l'aménagement du bâtiment des espaces pour les avocats à même de leur permettre de plaider dans de bonnes conditions de travail. Me Abdelmadjid Sellini, bâtonnier national, a expliqué dans l'entretien qu'il nous a accordé que son confrère Me Chatri n'a fait que déposer au nom de son client, une plainte contre une juge pour faux. Celle-ci avait convoqué le mandant après que la chambre d'accusation l'a mis en liberté provisoire, pour le mettre sous mandat de dépôt. «Or, pour une telle décision, il faut un nouveau chef d'inculpation. La magistrate a établi une ordonnance de qualification antidatée, raison pour laquelle le client de Me Chatri a décidé de porter plainte contre elle pour faux. Mais c'est l'avocat qui s'est retrouvé poursuivi pour dénonciation calomnieuse et outrage à magistrat. Nous avons estimé important d'exprimer notre solidarité à Me Chatri et, à travers son affaire, protester contre les conditions d'exercice de la profession», a déclaré Me Sellini. Celles-ci, a-t-il noté, ne cessent de se détériorer et ont atteint leur point culminant avec «l'exclusion du bâtonnat» de la nouvelle cour d'Alger. Une plate-forme de revendications, restée sans écho, a été déjà adressée au ministère de la Justice. «Nous avons demandé que cessent les instructions et les circulaires limitant le nombre d'audiences. Les magistrats nous disent qu'ils reçoivent entre 140 et 200 dossiers en moyenne et qu'ils sont instruits pour les enrôler durant chaque audience. Les avocats sont alors empêchés de plaider et les juges soumis à une course contre la montre au détriment de la qualité du jugement. L'autre revendication, contenue dans la plate-forme, est le déblocage du projet de loi portant statut des avocats. Ce projet de texte, préparé par les avocats, est à chaque fois revu par la chancellerie pour ajouter ou enlever ce qui ne l'arrange pas. Nous avons aussi demandé à ce que le projet de création de l'école supérieure des avocats, annoncé par le président de la République il y a presque deux ans, soit concrétisé parce que la justice ne se limite pas pas uniquement aux magistrats et aux greffiers, mais également aux avocats.» Me Sellini a rappelé que de nombreuses correspondances, dénonçant la situation vécue par les robes noires, ont été adressées à la chancellerie, «mais elles sont restées sans réponse». Selon l'avocat, des cercles restreints agissent dans l'ombre pour rétrécir les libertés et les droits à la défense. «Tout le monde est conscient de l'enjeu de ces actions et de ce fait, une assemblée générale réunira aujourd"hui les membres du barreau d'Alger et, mercredi une autre assemblée extraordinaire déterminera les actions à engager en cas de non-satisfaction», a-t-il ajouté. Le refus de dialogue opposé par la chancellerie risque de faire perdurer le bras de fer dont les conséquences s'annoncent désastreuses pour les justiciables, notamment ceux en détention et qui attendent depuis des mois un procès. Dans un communiqué diffusé hier, la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), dirigée par Boudjemaâ Ghechira, a déclaré «suivre avec inquiétude et regret l'affaire de Me Chatri», poursuivi pour dénonciation calomnieuse et dont le «seul tort est d'avoir garanti à un citoyen son droit à une défense contre la juge, laquelle n'a pas fait la différence entre le plaignant et son avocat». La ligue a exigé «l'annulation immédiate de la poursuite judiciaire et l'ouverture d'une enquête pour déterminer les responsabilités dans cette affaire qui porte atteinte non seulement à la crédibilité de la justice, mais également à l'image de l'Algérie».