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Pr Abderrezak Dourari (Directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight CNPLET) « La lutte pour l'amazighité a redonné à l'Algérie sa véritable identité »
29 ans après les événements du printemps berbère d'avril 1980, durant lesquels se sont cristallisées les luttes identitaires et les revendications linguistiques amazighes, quel regard porte le chercheur en tamazight que vous êtes sur le chemin parcouru par la cause amazighe ? La question de l'amazighité, véritable socle de l'identité de la majorité écrasante des Maghrébins, est d'abord une question citoyenne et démocratique. En 1980, Mouloud Mammeri, intellectuel algérien de grande facture, voulait présenter une conférence sur les poèmes kabyles anciens. La conférence a été interdite et ce fut le déclenchement d'une crise qui a pu, sur le long terme, accoucher de plus grands espaces de liberté. Les sacrifices des acteurs du 20 avril 1980, la rectitude de leur discours sur les libertés collectives et individuelles, sur la démocratie, sur la nécessaire reconnaissance de l'amazighité historique de l'Algérie et du Maghreb, sur la reconnaissance des langues algériennes populaires (l'arabe algérien et les variétés de tamazight) dans une société, un Etat-nation fonctionnant au profit de tous, ont permis d'ouvrir la voie à l'usage de l'intelligence pour remplacer progressivement la brutalité. L'équation identitaire mythologique arabo-islamique, qui a servi de discriminant positif contre le colonialisme, représenté comme français et chrétien, ne pouvait plus servir au lendemain de l'indépendance, car on était entre Algériens confrontés à nous-mêmes. Ce mythe, ébranlé en 1980, a été remis en cause plus tard par les luttes citoyennes et l'Algérie a retrouvé, même de manière assez fragile, son authenticité historique : Algérie, algérienne, plurielle et citoyenne tournée vers la modernité. La lutte pour l'amazighité a redonné à l'Algérie sa véritable identité et sa véritable culture. La haine de soi a été ébranlée sérieusement : on n'avait plus honte de se dire Berbère, même quand on est un officiel. C'est une grande victoire de soi sur soi, car si on choisit ses amis et ses destinations touristiques, on ne choisit jamais ses parents ou ses origines territoriales. Ce chemin qui a permis l'instauration d'acquis institutionnels comme le Haut-commissariat à l'amazighité (HCA) ou le CNPLET et les instituts universitaires de tamazight, a mené à l'élévation de la langue tamazight à la dignité de langue nationale en 2002 sous la pression du mouvement citoyen de Kabylie de cette période grâce au sacrifice de 126 citoyens à la fleur de l'âge et de tous les démocrates algériens. Les dogmes du monolithisme ont sauté. Quel état des lieux faites-vous de l'enseignement de tamazight dans l'Algérie de 2009 ? Comment réagissent les pouvoirs publics, le ministère de l'Education surtout, vis-à-vis de cet enseignement ? Parmi ces acquis, il faudra noter l'intégration, même précipitée, de la langue tamazight au système éducatif et dans l'espace institutionnel algérien. L'intégration de tamazight à l'école a, certes, permis de démystifier cette question, mais a montré les carences d'une politique linguistique volontariste d'intégration non préparée, car enseigner une langue non normalisée est anormal. Sans jeu de mots. En matière de normalisation, on n'a pas beaucoup avancé, car d'aucuns pensent que c'est facile. La normalisation se fait dans des institutions spécialisées comme des centres d'aménagement linguistiques ou des académies… L'encadrement de cet enseignement s'améliore aujourd'hui du fait que la plupart des enseignants de cette langue ont la licence, dont la valeur laisse à désirer, mais quand même… Le MEN rencontre, me semble-t-il, de sérieuses difficultés à gérer l'enseignement de cette langue polynomique, au-delà des questions de politique linguistique nationale qui ne relèvent pas de ses compétences. Peu de spécialistes en Algérie, peu d'engouement pour l'enseignement de cette langue selon les régions lié à la fonctionnalité et les débouchés réduits qu'elle offre dans le marché linguistique algérien et méditerranéen… Ce qui exige de plus gros efforts financiers et imaginatifs de la part de l'Etat… Le rapport langue-économie ne lui est pas favorable actuellement… La prise en charge scientifique de tamazight fait défaut, dites-vous... Comment cette prise en charge doit-elle se faire, selon vous ? Une prise en charge sérieuse signifie que des institutions scientifiques spécialisées s'en chargent au plan de l'aménagement du corpus et du statut. Plusieurs centres de recherche sont nécessaires. Une académie pour coordonner cet aménagement autant qu'un centre d'étude et de recherche sur le plurilinguisme, fonctionnant comme un centre d'aide à la prise de décision, sont nécessaires pour ne pas risquer de tomber dans l'improvisation et la complexification des questions sociétales et culturelles. Ira-t-on vers la standardisation de la langue tamazight ? Quels sont les voies pour y parvenir ? Quel serait, dans ce cas, l'avenir des variantes linguistiques du berbère ? Comment, selon vous, sera tranché le choix des caractères de transcription de tamazight ? Ce choix se fera-t-il sur une base scientifique ou politique ? La standardisation de tamazight ne pourra aujourd'hui être envisagée en dehors des variétés, car la langue est d'abord parlée par des locuteurs réels. La création d'une langue artificielle, outre qu'elle cause un surcoût inutile, n'intéresse personne. Les caractères d'écriture ne portent en eux-mêmes aucun enjeu linguistique mais ont une valeur symbolique. La publicité adressée à la Kabylie pendant la campagne présidentielle d'avril 2009 en a montré le chemin. La publicité a pour but d'attirer les faveurs des gens auxquels elle s'adresse ; cette année, les commanditaires en avaient tant besoin que c'est un indicateur significatif. Et elle a été faite en caractères arabes et français. Mais peu importe le caractère qui sera certainement une décision politique et symbolique, l'essentiel est de produire dans cette langue et sur cette langue et d'assurer la démocratie linguistique dans notre pays et, partant, l'apaisement identitaire et culturel. Cette dernière est d'une importance capitale pour le renforcement du lien social en Algérie menacé de dissolution, si l'on prend en considération ce qui se passe à Berriane entre autres.