Poète et chanteur de hip-hop somalien, K'Naan, né en 1978, a vécu à Mogadiscio, avant que sa famille ne quitte le pays, en proie à la guerre civile. Peut-on vraiment être pour la piraterie ? A part les bandits des mers et les jeunes filles qui fantasment sur Johnny Depp, est-ce qu'un individu attaché à un honnête comportement humain peut vraiment déclarer soutenir la piraterie ? Eh bien, en Somalie, la réponse est : c'est compliqué. La Somalie n'a plus de gouvernement en état de marche depuis 1991. Après le renversement de Siyad Barre, le dictateur qui a dirigé le pays pendant une vingtaine d'années, deux grandes forces du clan Hawiye sont arrivées au pouvoir. Ali Mahdi et le général Mohamed Farah Aidid, les deux chefs des rebelles Hawiye, étaient à l'époque considérés comme des libérateurs. Leur unité et celle de leurs clans respectifs n'ont cependant duré que très peu de temps : un désaccord sur le fait de savoir qui allait passer du statut de chef de milice à celui de président a provoqué l'une des guerres les plus dévastatrices de l'histoire somalienne. Or, la guerre coûte cher et les milices ont besoin de nourriture pour leurs familles et de jaad (un stimulant à base d'amphétamines) pour les combats. Les hommes d'Aidid ont alors commencé à piller les camions de l'aide internationale. Ali Mahdi avait pour sa part les yeux rivés sur une ressource plus vaste et moins exploitée : l'océan Indien. A cette époque, les pêcheurs locaux dénonçaient déjà ces bateaux qui entraient illégalement dans les eaux somaliennes et volaient tout le poisson, mais ils n'étaient pas entendus. Au même moment, une pratique plus sinistre et plus méprisante fut lancée. Une société suisse du nom d'Achair Partners et une entreprise italienne appelée Progresso conclurent avec Ali Mahdi un accord qui les autorisait à déposer des conteneurs de déchets dans les eaux somaliennes. Le tsunami de 2004 a fracassé plusieurs conteneurs qui se sont répandus sur la côte et des milliers de personnes de la région du Puntland ont commencé à se plaindre de troubles graves : hémorragies abdominales, ulcères cutanés et plusieurs symptômes similaires à ceux du cancer. Selon les Nations unies pour l'environnement, les conteneurs renfermaient différents types de déchets, parmi lesquels “de l'uranium, d'autres déchets radioactifs, des métaux lourds, comme du plomb, du cadmium, du mercure et des déchets chimiques”. Ce n'est que plusieurs mois plus tard que les pêcheurs locaux, accompagnés de milices terrestres, se sont lancés sur les eaux pour empêcher les Occidentaux de détruire complètement et en toute impunité la vie marine somalienne. Aujourd'hui, leurs objectifs sont moins nobles et les anciens pêcheurs et leurs milices se sont mis à rançonner les navires. Cette forme de piraterie représente un élément important de l'économie somalienne, en particulier dans la région où les sociétés privées de traitement des déchets ont enterré leurs pièges mortels pour notre pays. Pour moi, cette nouvelle crise est une question de justice – mais de justice pour qui ? Ça reste à voir. Comme on le constate en ce moment, le pirate des uns est le garde-côte des autres. Extrait de URB Magazine (Etats-Unis) et publié dans Courrier International (avril 2009).