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A propos de la découverte des squelettes de Tihitane et des sites rupestres de l'Immidir (Ahaggar)
Publié dans El Watan le 24 - 07 - 2007

Les squelettes de Tihitane, de la région du sud-ouest de l'Ahaggar (la localisation est volontairement imprécise) sont, en effet, connus depuis plus de 20 ans. Des chercheurs algériens et étrangers, ayant réalisé — et réalisant encore — des travaux archéologiques ou géo-morphologiques à Ahaggar, n'en ignorent pas l'existence. Le site est également connu des agences de voyages, lesquelles, lorsqu'elles passent à proximité, le font découvrir à leur clientèle. Au moment de la création du Parc national de l'Ahaggar, en raison de sa fragilité, la direction de cet organisme avait initié un projet. Puis, dans les années 1990, la direction du Parc national de l'Ahaggar fut sollicitée par un chercheur italien qui souhaitait en faire autant.
Sur le plan scientifique, il est à craindre que les squelettes ne soient pas aussi anciens que présumés, soit «20 000 à 30 000 ans», car, dans les années 1980, le parc était jonché de fragments de poterie, dont on sait que l'invention par l'homme ne remonte pas au-delà du milieu du XIe millénaire BP (Before Present) au Sahara. Sur les photos publiées de ce site, on peut constater qu'il en reste encore. Cette évaluation est peut-être faussée par le fait que les ramassages intempestifs ont, à la longue, «écrémé» les lieux en faisant disparaître une grande partie des fragments de poterie qui gisaient sur le sol, ainsi que d'autres artefacts. L'étude du matériel archéologique de surface risque donc de s'avérer tronquée. En revanche, il est, en effet, important de tenter de dégager ce qui reste des squelettes (fouille de sauvetage), et de dater les ossements, si leur état s'y prête encore (car il faut certaines conditions de conservation pour que des résultats puissent être obtenus quand on date de l'os). La description de Tihitane dans le Bulletin de liaison saharienne, ainsi que les photographies qui l'accompagnent, donnent à penser que les squelettes sont dans un certain état de dégradation par rapport à l'état initial des lieux. Malgré tous les efforts consentis, l'expérience nous a montré que dans le cas de sites archéologiques isolés en plein Sahara, mais facilement accessibles en véhicule tout-terrain, il était préférable de réaliser des travaux d'urgence, la seule manière de sauver les données scientifiques.
Quant à la région de l'Immidir, ainsi qu'une grande partie de ses sites rupestres et de ses habitats préhistoriques, ils sont connus depuis déjà quelques décennies. Cette région fut d'abord fréquentée par les agences de tourisme pratiquant la marche à pied et la méharée (à dos de dromadaire). Les sites rupestres de l'Immidir ont fait l'objet de plusieurs articles publiés dans des revues spécialisées sur le Sahara et/ou l'art rupestre saharien, ainsi qu'un ouvrage contenant de nombreuses photographies. Un exemplaire de ce livre a été adressé au ministère de la Culture, et le corpus photographique a été remis, sous forme numérique, à la direction du Parc national de l'Ahaggar pour servir à ses missions d'inventaire et de recherche. Au mois de mars 2007, une mission du Parc national de l'Ahaggar a permis de prendre la mesure de la richesse des lieux, et, d'enrichir ce patrimoine de sites nouveaux. Elle a été suivie, en avril 2007, par une équipe du CNRPAH qui, en découvrant les lieux, en a fait de même. Il paraît difficile de pouvoir «écumer» la région avant longtemps, comme il est écrit dans l'article de presse, sachant que plusieurs équipes, sur des décennies de recherches, ne suffiraient pas à épuiser son riche potentiel archéologique, en raison de l'extension géographique de ce plateau, de ses accès difficiles, mais aussi, du fait que les meilleurs connaisseurs des lieux, d'anciens agents de protection et de conservation du parc national, soient aujourd'hui, presque tous, à la retraite. Un problème de relève qui se pose aussi au Parc national du Tassili (connaissance des accès, des points d'eau, etc., pour pouvoir circuler et travailler). A. Heddouche, géomorphologue et préhistorien, ancien directeur du Musée du Bardo, puis du Parc national de l'Ahaggar, actuellement chercheur au CNRPAH, fouille depuis près d'une décennie les nombreux monuments funéraires de l'Ahaggar : nous ne pensons pas le contredire en affirmant que, malgré toutes ces années de terrain dans des conditions sahariennes éprouvantes, ce domaine de recherche ne sera pas épuisé avant longtemps. Nous attendons, d'ailleurs, avec impatience la publication des travaux de ce collègue, car, d'une part, ils seront les premiers du genre pour le Sahara central (après ceux du Sahara méridional, au Niger, réalisés par des chercheurs français), et, d'autre part, ils nous révéleront, peut-être, des dates hautes pour les squelettes qui étaient davantage protégés que ceux de Tihitane, les défunts ayant été initialement enterrés dans des sépultures en pierres.
L'étude des sites rupestres de l'Immidir, par l'application, notamment, de la méthode d'analyses factorielles de correspondances (méthode d'analyse statistique) permet de mettre en exergue un élément fondamental, celui d'un peuplement assez particulier de ce plateau, comparativement à l'homogénéité de celui de la Téfédest, mais également de l'Ahnet, massifs voisins. A la différence du Tassili des Ajjer (Algérie), de la Tadrart Acacus et de l'Amsak (Libye), ce peuplement révèle quelques éléments ethno-sociologiques dont il est difficile de préciser l'appartenance et les origines géographiques. On pourrait chercher des correspondances possibles avec, au moins en partie, les groupes humains individualisés par les inventaires-recherches effectués par J-P. Maitre, un ancien chercheur du CRAPE (ancien CNRPAH), dans les années 1970. Par ailleurs, il nous semble important de procéder, comme cela fut fait, dans les années 1980, pour la Tadrart méridionale (au sud du Parc national du Tassili), aux collectes des gisements et autre matériel archéologique de surface de l'Immidir, au moins là où ceux-ci ont été signalés, sachant que la région est fréquentée par les touristes, et que la tentation est humaine. Au Tassili des Ajjer, pour la Tadrart méridionale, un accord tacite avait été passé entre la direction du parc et les agences de tourisme pour réduire et orienter le mouvement touristique, et, ainsi, nous donner le temps de procéder aux travaux archéologiques les plus urgents. Ce fut l'une des opérations de collaboration les plus réussies, dans l'intérêt de tous les secteurs, les agences de voyage étant allées jusqu'à aider matériellement le Parc qui ne possédait, à l'époque, qu'un véhicule rétif à la préhistoire.
Le «sillage» intellectuel
Nous souhaitons aussi préciser que l'usage du terme «pillage» pour les œuvres rupestres est impropre, et dire que celui-ci a atteint des proportions alarmantes comme le stipule l'article un peu exagéré. Parler de pillage des œuvres rupestres signifie que celles-ci sont découpées dans la roche, prélevées, acheminées et, selon, exportées. Si de tels cas ont existé dans le passé et qu'ils pourraient aussi se renouveler (car rien n'arrête les pilleurs et, maintenant, les iconoclastes), Dieu merci, découper un panneau rocheux relève d'un effort plutôt décourageant même pour un collectionneur. Dans l'Atlas saharien, nous avons pu constater que de telles tentatives avaient été finalement abandonnées, mais il est vrai que le pilleur avait fait usage d'une scie et d'une hache (qui ont abîmé la gravure), et, qu'aujourd'hui, on dispose d'engins bien plus sophistiqués.
En revanche, on peut considérer qu'il existe une autre forme de «pillage» du patrimoine, celui du pillage «intellectuel» que pratiquent les chercheurs ou amateurs, étrangers clandestins, dont les travaux sont ensuite publiés en outre-mer, au mépris de la législation algérienne et des documents que l'on fait signer aux visiteurs à l'entrée du parc, notifiant l'engagement du signataire à respecter les textes réglementaires, dont ceux qui régissent la recherche. Pour avoir initié la mise en place d'un parc national dans l'Atlas saharien, dans le cadre de la direction du patrimoine culturel, puis géré le Parc national du Tassili, patrimoine mondial, nous savons par expérience combien la gestion de parcs, grands comme des pays, est parfois une gageure quels que soient les moyens et les hommes, quand chaque pierre abrite un site, un objet archéologique, chaque lieu, une plante ou un animal rare, et, que les prédateurs ne soient pas toujours des étrangers, car le développement des infrastructures sans études d'impact, par exemple, est certainement le facteur le plus destructeur, bien plus que le pillage.
Les défis d'aujourd'hui
Ce sont là les énormes défis auxquels on doit faire face, et même les parcs étrangers ne sont pas épargnés, sachant que Yellowstone (USA) a été momentanément déclassé du patrimoine mondial, en raison d'une exploitation touristique effrénée qui commençait à générer de sérieuses nuisances. Même si certaines découvertes n'en sont pas, réjouissons-nous de l'enrichissement de notre patrimoine archéologique et naturel saharien en 2007. Car s'il est «une première mondiale» en Ahaggar qui est passée presque inaperçue, bien que publiée dans El Watan il y a quelques mois, c'est bien celle de l'existence complètement inattendue de la panthère dans cette région (détermination génétique faite à partir de crottes animales). Sous d'autres cieux, l'équipe d'Ushuaïa serait accourue pour aller sur les traces de ce superbe animal (dont nous rêvons de voir, ne serait-ce qu'à travers les empreintes au sol), et, donner aux Algériens un beau sujet de découverte, dans leur propre pays. Au Sahara, la richesse archéologique et la faiblesse de l'exploration scientifique font que chaque pas vous fait découvrir une sépulture, une peinture, une plante endémique, et, combien d'autres choses encore, mais l'essentiel demeure, nous semble-t-il, dans l'organisation de la protection des sites naturels et culturels et celle des inventaires (mise en place du plan d'aménagement, et, formation des ressources humaines), la mise en œuvre d'une politique de recherches organisée autour de problématiques destinée à dégager les lignes de force de l'histoire de notre pays, laquelle, à son tour, permet de mettre en commun les efforts et les moyens des parcs nationaux et des instituts de recherches, et, donc, d'optimiser la mise en valeur de l'énorme potentiel archéologique et naturel de ces régions ; un potentiel qui sera encore générateur de travail et de biens quand le sous-sol aura cessé de livrer son or noir (une perspective qu'il faut, dès aujourd'hui, préparer). Enfin, la contribution de toutes les bonnes volontés administratives et scientifiques dans une synergie qui ne peut que profiter à tous les secteurs concernés, mais principalement au patrimoine. Ces tâches, qui, parfois, requièrent l'énergie du gladiateur, ne procurent pas, heureusement, que désagréments et fortes inimitiés. Elles offrent aussi de profondes satisfactions, à commencer par celle d'œuvrer dans des régions fabuleusement belles, de croiser, à chaque pas, nos ancêtres, vaquant à leurs occupations sur les parois, dans un silence qui vous repose de la cacophonie du théâtre humain des temps modernes, et, parfois, de mettre un site à l'abri, en se disant que c'est un petit pan d'histoire qui est ainsi préservé. Dans la solitude du chercheur de fonds, rien ne remplace la magie des grès et des granits quand le soleil se couche à l'horizon, et, que le guide targui murmure les paroles apaisantes de sa prière, répétées par le vent.
Merci, cependant, aux journalistes qui ne sont pas rebutés par la science préhistorique et sa terminologie compliquée, car ils sont un lien précieux avec le grand public, même si, çà et là, nous venons les chicaner sur la précision d'un terme ou d'un autre, nous-mêmes animés par l'exactitude scientifique, l'autel de tous les sacrifices.
L'auteur est : Préhistorienne
Ancienne directrice du Parc national du Tassili


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