Il reste juste à fixer la date. La visite de Bouteflika à Paris, dans quelques semaines, probablement en juin, s'inscrit désormais dans l'agenda officiel diplomatique des deux pays. Cette visite intervient une année après avoir été annoncée par le chef de l'Etat français, Nicolas Sarkozy, qui a eu également « le rare privilège » d'annoncer, à l'époque, la participation du président Bouteflika au sommet fondateur de l'Union pour la Méditerranée, le 13 juillet 2008 à Paris. La rencontre entre les deux hommes au sommet du G8 élargi, tenue une semaine auparavant à Toyako, au Japon, sonnait déjà le réchauffement des relations entre les deux parties. Car aller jusqu'à inviter un président qui devait d'abord se faire réélire était à la limite de l'éthique diplomatique. Mais le soutien au président Bouteflika en valait la peine. Bien que l'épisode concernant l'« affaire Hasseni » ait assombri les perspectives des rapports entre Alger et Paris, l'on voit bien que les horizons n'étaient pas aussi bouchés qu'ils en donnaient l'apparence. Ce qui laissait présager un refroidissement des relations entre les deux pays s'avère n'être finalement qu'un malentendu qui a trouvé rapidement une solution. Et cela suffisait pour que Paris reprenne langue avec Alger. Sarkozy a été le premier à avoir félicité son homologue algérien pour sa réélection pour un troisième mandat à la tête de l'Etat et a évoqué dans son message « la construction d'un partenariat d'exception ». L'Algérie est, à l'évidence, un partenaire important. Et les échanges commerciaux avec la France pèsent lourd dans la balance des rapports entre les deux capitales. Leur volume était, il y a une année, de l'ordre de 8 milliards de dollars. La France est le premier fournisseur de l'Algérie avec près de 6,5 milliards de dollars. Ce n'est pas tout. Dans les milieux d'affaires, on est plus que jamais convaincu qu'Alstom, qui était au bord de la faillite, ne doit sa survie qu'aux projets décrochés en Algérie. Ce n'est pas pour rien, en effet, que les officiels français louent les opportunités d'affaires qu'offre le pays ! Et qui mieux que l'ambassadeur de France en Algérie pouvait traduire un tel intérêt. Xavier Driencourt a affirmé à plusieurs reprises que « l'Algérie est un pays très riche ». Seulement, beaucoup de ses compatriotes, des investisseurs surtout, ne s'empressent pas de venir s'y installer pour des raisons diverses. Ils préfèrent commercer plutôt que de faire l'effort de s'intégrer comme producteurs dans l'économie nationale. Le diplomate français a trouvé la juste réponse lorsqu'il lui a été demandé une explication sur les raisons qui ont fait que le constructeur automobile Renault a choisi le Maroc et non l'Algérie, pour y implanter une usine. Il a souligné qu'il fallait le demander au constructeur lui-même, avant d'expliquer que l'Etat français n'a pas droit de regard sur les décisions des investisseurs. M. Driencourt a, en fait, donné la même réponse que celle qui a été fournie par un ministre français des Affaires étrangères à la fin des années 1990 : « Nous sommes une démocratie, l'investissement à l'étranger ne se décrète pas. » Sarkozy va-t-il, lui, faire une entorse à cette règle et convaincre les membres du Medef à venir investir en Algérie ? En tout cas, l'investissement français préoccupe toujours les Algériens. Le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a affirmé durant le week-end que « l'essentiel de nos préoccupations aujourd'hui tourne autour de la circulation des personnes et donc du développement humain, mais aussi autour de la nécessité de développer davantage la coopération économique, principalement à travers des investissements français en Algérie ». Evoquant la visite du président Bouteflika à Paris, le chef de la diplomatie algérienne avait souligné également l'importance de la mise en œuvre des accords de coopération signés entre l'Algérie et la France dans le domaine du nucléaire. Mais pas seulement. Selon lui, « les rapports entre les deux pays doivent intégrer une gestion sincère, ouverte, engagée et confiante des questions relatives à la mémoire ». Sur ce plan justement, jusqu'à quel point pourrait aller la partie française ? Nicolas Sarkozy a été très évasif sur la question de la reconnaissance des crimes coloniaux lors de sa visite à Alger en décembre 2007. Qu'est-ce qui a changé depuis pour que le chef de l'Etat français puisse franchir le pas cette fois-ci ? De part et d'autre de la Méditerranée, l'on appréhende avec beaucoup de prudence les questions qui ont alimenté pendant longtemps les malentendus algéro-français. Mais force est de constater que le nouveau contexte international induit par la crise économique semble avoir changé quelques donnes. Les intérêts économiques pourraient bel et bien modifier quelques perceptions des relations entre Alger et Paris. La France, qui s'efforce à lâcher du lest en matière d'octroi de visas, va-t-elle finir par céder sur la question de la mémoire ?