Parler de Chekfa à Jijel c'est évoquer naturellement la verveine, tant la culture de cette plante s'y est perpétuée, génération après génération. La localité de Boutaleb, située à quelques encablures au nord du chef-lieu de commune, Chekfa, se trouvant sur la route de Djimar, en est la parfaite illustration quant à la notoriété dont jouit la région, championne dans la culture de cette plante. La localité est un vrai parc verdoyant dans lequel s'engouffrent des habitations. La culture de la verveine assure une rente à toutes les familles qui la cultivent de père en fils. La plante aromatique et ornementale, utilisée notamment en cosmétique, est très prisée, particulièrement durant l'hiver. Mais à entendre des agriculteurs de la région, les temps ne sont pas toujours aussi cléments avec ceux qui la cultivent. L'année 2008 a été une très mauvaise saison qui a vu les prix reculer dangereusement pour l'équilibre financier des fellahs. « Cette culture rencontre d'énormes problèmes liés à la hausse vertigineuse du prix des engrais ainsi qu'aux difficultés rencontrées pour s'en approvisionner. Le prix de l'engrais a atteint 3 500 DA/kg alors qu'il n'était qu'à 900 DA », dira Abdelhak, agriculteur. La procédure d'achat réglementée de ces produits, utilisés notamment pour confectionner des engins explosifs, pénalise ces agriculteurs qui cultivent de petits lopins de terre, et lesquels ne disposent pas de carte de fellah censée leur ouvrir les portes des différentes administrations. Ami Saïd, un autre agriculteur de la localité affirme n'être pas rentré dans ses frais en 2008. Parallèlement à la hausse du prix des engrais, celui de la verveine, laquelle s'exportait jadis en Europe, a enregistré une véritable érosion. Ainsi, de 400 DA/kg, elle est passée à 300 DA/kg. Nos interlocuteurs espèrent un regard des autorités pour aider cette activité qui demande une main-d'œuvre importante puisque la récolte se fait feuille par feuille. L'histoire de kelbelouz Boutaleb n'est pas seulement connue pour sa verveine. Elle s'adjuge aussi la palme du meilleur kelbelouz de la région. L'histoire de cette pâtisserie traditionnelle a commencé au début des années 1980 grâce aux frères Youcef et Mustapha Debieche. Le mois de Ramadhan est l'occasion pour ces pâtissiers de voir des nuées de personnes s'abattre, telles des abeilles, sur le kelbelouz. Mais, la crise durant la dernière décennie a poussé Youcef à aller s'établir à El Kennar, alors que son frère est resté à Boutaleb. Les deux ont continué, chacun de son côté, à gâter les papilles gustatives des amateurs de cette confiserie. Cependant, en dépit de ces images rassurantes, Boutaleb demeure à l'écart de tout développement. Lors de notre tournée dans la localité, à laquelle on accède par deux chemins, celui de Boutaleb centre et Tighdiren - la seule présence de l'Etat est matérialisée par l'école Mahmoud Benmeriouma. Les habitants manquent des commodités essentielles, mis à part l'eau potable et l'électricité. Pas de réseau d'assainissement, ni autres aménagements. Durant l'hiver, la localité patauge dans la gadoue. Les citoyens que nous avons rencontrés insistent surtout sur le réseau d'assainissement, car jusqu'à présent aucune maison n'est raccordée au réseau public d'évacuation des eaux usées. Les habitants disposent actuellement de fosses septiques. Pour l'aménagement de la piste, ils ne comptent que sur leurs bras. L'enjambement d'un ruisseau, qui inonde par temps de pluies une piste d'accès, a été l'œuvre des habitants, lesquels ont construit un ponceau en béton armé. Les pieds dans la gadoue Un habitant affirme que quand il pleut, même les voitures n'arrivent pas à accéder aux maisons tant le déferlement des eaux boueuses est important. Pour le réseau d'assainissement, une première tranche a été réalisée, mais aucun raccordement n'a été effectué vu que les travaux de la canalisation principale avancent à pas de tortue, retardant par là un éventuel revêtement de la route menant vers Chekfa et Djimar. La frustration des habitants atteint son comble du fait que leur localité n'a pas été raccordée au gaz naturel alors qu'à quelques dizaines de mètres plus au nord, celle de Djimar en est pourvue. En hiver, la bouteille de gaz butane atteint les 300 DA dans cette localité qui ne dispose pas d'un point de vente. Un vieux, rencontré devant la mosquée, dont le mur de soutènement de quelques mètres de haut s'est carrément fissuré à cause d'une mauvaise conception, nous suppliera de parler de la piste impraticable qui mène au cimetière, faisant des décès une hantise par mauvais temps. « Nous n'arrivons même pas à atteindre le cimetière par temps pluvieux », s'exclame-t-il. L'éclairage public est l'autre point noir de la localité. Côté santé, la situation est carrément lamentable puisqu'il n'existe même pas une salle de soins. En outre, ne disposant pas de réseau téléphonique filaire, les habitants n'ont pas accès à Internet via les postes WLL. Pour surfer sur la toile, les jeunes doivent se déplacer jusqu'à Chekfa, vu que Boutaleb, qui se parfume à la verveine et déguste les succulents kelbelouz, a toujours les pieds dans la gadoue.