Les vingt-six personnes, tous des citoyens du douar Torrich, qui avaient manifesté samedi dernier en bloquant la RN90 non sans avoir eu à en découdre avec les gendarmes, devront rester encore en prison jusqu'au 8 février prochain, car leur procès, ouvert hier, été reporté alors que beaucoup s'attendaient à une libération provisoire du fait de la présence parmi les prévenus de personnes âgées. La décision du report a fait naître un profond sentiment de compassion des membres de la famille, amis ou habitants du douar venus nombreux attendre devant le tribunal où se déroulait le procès à huis clos. Beaucoup de femmes et de jeunes filles étaient inconsolables et pleuraient à chaudes larmes, qui son père, qui son frère ou son fils. L'ambiance était morose et électrique dans un climat sidéral, mais empreint de sérénité. Triste tableau de la misère humaine où défilaient, devant le tribunal des flagrants délits, des personnes, en majorité des hommes d'un certain âge, mine déconfite, l'air hagard et tout en haillons. Beaucoup présentaient des ecchymoses, d'autres portaient des pansements. Certains disent avoir été frappés, d'autres disent avoir été victimes de jets de pierres. Le président du tribunal, qui disait comprendre leur détresse humaine, fait savoir que nul ne doit enfreindre la loi. Madri Safi, un sexagénaire, se lève ; s'adressant au président, il fait savoir qu'il a été frappé alors qu'il se trouvait adossé à un mur.Adda Baâcha, Tahar Abed, M'hamed Djelid, tous de vieilles personnes, diront la même chose jusqu'au moment où vint le tour de Djillali Benyahia, la cinquantaine. Stupeur, celui-là est sourd-muet. N'empêche qu'il porte des égratignures sur le visage, mais sa démarche est nonchalante et il semble perdu dans ce décor ainsi planté. « Comment va-t-on le comprendre ? », lâcha le président qui dut se résoudre finalement à lâcher prise. Même gestuelle, même paroles, les prévenus devant leur banc s'exécutent. On ne connaîtra pas dans le détail les péripéties ayant engendré l'acte fatal ayant déclenché le bras de fer avec les gendarmes. Ces derniers, du moins ceux blessés, ont été appelés, mais il n'y aura pas de confrontation. La défense, notamment maître Guemaïr, axa sa courte intervention sur les éléments constitutifs de l'article 41 qui n'étaient pas réunis pour finir par demander la liberté provisoire. Une liberté provisoire apparemment refusée et on l'apprendra une heure après la suspension de la séance. Dehors, les citoyens tentent de s'adresser à la presse avec frilosité, certains avec méfiance : « Ecrivez que de vieilles personnes vont rester prisonnières parce qu'elles ont osé parler de leur condition sociale. » « Bouteflika ne nous a-t-il pas dit de relever nos têtes ? » Un autre citoyen intervient : « Vous, la presse, de quel côté êtes-vous ? » « Vous avez parlé d'un chien des gendarmes tué alors que vous avez oublié de parler de mon frère dont une partie de sa chair a été arrachée. Il souffre le martyre chez lui. » « Venez avec nous décrire notre situation sociale et vous comprendrez la raison de ces manifestations. »