J'ose espérer que cette réflexion suscitera une prise de conscience des pouvoirs publics et de la société civile sur un drame qui se déroule sous nos yeux, dans le silence et l'indifférence générale et qui touche cette frange importante de la population et dont l'aboutissement menace les fondements mêmes de notre société. Psychologue au SOEMO (DAS de Chlef), où depuis des années, dans ma pratique quotidienne, je suis confronté aux problèmes que vivent et subissent nos jeunes. Des jeunes tous porteurs d'une histoire douloureuse et parfois victimes de drames, de violences et de maltraitances. Lors de son intervention, monsieur le ministre remarquera, à juste titre d'ailleurs, que l'émigration clandestine vient se greffer à d'autres maux et fléaux que vit notre jeunesse. Cela est, malhureusement, la triste réalité. L'emigration clandestine n'est que la partie visible de l'iceberg. Parce qu'elle touche les pays du pourtour méditerranéen, elle est plus médiatisée et par conséquent, elle devient de fait un problème politique. Le malaise de nos jeunes est plus profond, malaise qui ne cesse de s'amplifier et pour lequel une intervention d'urgence est nécessaire. Il est temps de réagir. Sans vouloir être pessimiste et encore moins alarmiste, il y a péril en la demeure. Nos jeunes et parfois des enfants vivent des drames, livrés à eux-mêmes, fragilisés, devenant ainsi la cible de mains criminelles qui vont les récupérer pour des dessins inavoués. Sans repères et modèles identificatoires, nombre de ces jeunes sont en rupture sociale et familiale- le Professeur et chercheur en sociologie l'a bien souligné dans son intervention- et sont dans l'errance, sans but, sans projet d'avenir et qui ont perdu ou parfois coupé à raison ou à tort tous les liens, aussi bien familiaux que sociaux, et versent peu à peu dans la criminalité. Livrés à eux-mêmes, ces jeunes basculent et passent à l'acte très facilement : suicide, délinquance, toxicomanie, violence, prostitution, harraga, et. Des jeunes qui ne fonctionnent que dans la violence et ne tolèrent aucune contrainte, ni frustration, et encore moins une autorité qu'elle soit familiale ou sociale. De plus en plus de jeunes s'adonnent à la toxicomanie au vu et au su de tout le monde. Des jeunes qui se droguent au cannabis et aux psychotropes, qui se shootent ou sniffent de la colle et autres solvants, font partie de notre quotidien et décor et ce, dans l'indifférence générale, pour fuir cette réalité dont ils se sentent exclus, marginalisés et qui leur est insupportable. D'autres, hélas, choisissent le suicide, ils sont de plus en plus jeunes à emprunter parfois des moyens violents (acide, feu), exprimant ainsi l'intensité de leur désespoir. Le travail de proximité que nous effectuons auprès de ces jeunes en difficultés, aussi bien dans nos consultations que dans les différents établissements éducatifs où nous intervenons, fait apparaître que ces jeunes sont la majorité des cas issus de familles vivant dans la précarité où la violence est le seul mode de communication. Familles où le père est beaucoup plus préoccupé par la «survie alimentaire» de ses enfants que de leur éducation. Des enfants qui sont encouragés, contraints et poussés par leurs parents à aller travailler pour les aider à subvenir aux besoins de la famille et qui sont souvent victimes de maltraitances et de violences au cas où ils reviennent les mains vides. Ainsi, ces enfants évoluant dans un tel environnement familial, censé être affectueux et protecteur alors qu'il est stressant et hostile, ne font que reproduire cette violence dont ils sont victimes. Violence d'une ampleur inquiétante et incroyable et que l'on retrouve à tous les niveaux, dans la famille, à l'école, dans la rue, dans les stades, etc. Absence d'encadrement Mêmes les parents n'arrivent plus à contrôler leurs enfants et encore moins les enseignants qui sont maltraités et parfois battus par leurs propres élèves !!! Devant l'absence d'encadrement, ces enfants et ces adolescents sont livrés à eux-mêmes, s'accaparent la rue et les lieux publics où ils vont imposer leurs lois et leur diktat et s'attaquent ainsi –surtout après les sorties des stades – à tous les symboles étatiques et biens privés par des actes de vandalisme et de destruction. Il ne se passe pas ainsi un jour où la presse ne nous relate ces manifestations de violence que traverse notre pays et qui sont l'œuvre de jeunes et ce, parfois pour des raisons futiles et absurdes. Pour les spécialistes et travailleurs sociaux, ces comportements sont beaucoup plus réactionnels et reflètent ainsi le profond malaise qui ronge nos enfants et nos jeunes et qui risque, comme un certain octobre 88, de créer un tsunami dont on oserait même pas imaginer les conséquences. Il est temps, voire même urgent, que ce genre de rencontres, initiées par le ministère de la Solidarité, se multiplient, associant les différents partenaires en charge de la jeunesse, en y invitant les universitaires et autres spécialistes à même de nous expliquer ces comportements pour mieux les appréhender et apporter les solutions et les remèdes adéquats, et arrêter quelque part d'imputer nos échecs et nos faillites aux autres. Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que c'est la faute des parents qui font preuve de laxisme dans l'éducation de leurs enfants, ou bien c'est l'école qui a failli dans sa mission, etc. ? Car il est impensable, pour ne pas dire inadmissible, que tous les moyens, aussi bien humains que matériels, que les pouvoirs publics ont mis en place à travers toute une série de dispositifs et de mécanismes d'aide et d'assistance à l'endroit de ces jeunes, aboutissent à un constat d'échec. Nous sommes tous responsables et tous concernés par cette situation qui nécessite une prise en charge urgente où les décideurs et politiques se doivent de déterminer et intervenir en mettant en place une sorte de plan Marshall, avant qu'un autre raz de marée, exprimant le ras-le-bol d'une jeunesse exaspérée et désespérée, ne vienne tout balayer. L'auteur est Psychologue au SOEMO-Direction de l'action sociale de Chlef.