L'état n'impose pas L'innovation : les entreprises danoises vendent des idées, créent des réseaux internes et internationaux, innovent et réussissent à dégager des bénéfices. Les séminaires, conférences et colloques réunissent en règle générale des gens du business, de l'université, de la société civile et du gouvernement à longueur d'année. Certaines entreprises danoises sont les leaders mondiaux incontestés de leur branche : Novo Nordisk pour l'insuline, Vestas et NEG Micon pour l'énergie éolienne, Maersk pour les containers, Lego le fabricant des fameux jeux de construction pour enfants… Le Danemark a eu 14 prix Nobel pour une si petite population. La recherche-développement, le marketing et le design, la communication et le dialogue transfrontalier s'épanouissent et sont des facteurs plus importants que des fabriques même efficaces. Le nom Bluetooth de la technique du transfert de données sans fil et que les fans du mobile connaissent signifie littéralement «dent bleue». Il se rapporte au nom du roi danois Harald II (910-986), surnommé Blaatand (à la dent bleue) qui avait unifié la Suède et la Norvège et avait introduit le christianisme en Scandinavie. C'est un jeune Danois qui a mis au point la technique de messagerie via internet Skype. Les avocats exportent leurs services ; ils ont fait rentrer au pays presque un demi-million de dollars américains pour le seul exercice 2005… L'usage de l'intelligence est une tradition danoise. Si on connaît généralement Jørn Utzon, l'architecte de l'Opéra de Sydney, on connaît moins J. O. von Spreckelsen, l'architecte de la Grande Arche de la Défense ! Et si l'œuvre de Hans Christian Andersen, l'auteur du Vilain canard, a fait le tour du monde, on connaît aussi Karen Blixen et le philosophe Søren Kierkegaard qui a inspiré Malraux. Des noms de Danois célèbres il y en a, et pas des moindres : Tycho Brahe a, le premier, observé et décrit le principe d'une Supernova ; Niels Steensen est le fondateur de la géologie ; Ole Rømer est le premier à avoir mesuré la vitesse de la lumière (par observation des satellites de Jupiter) ; Vitus Bering est le marin qui a donné son nom au Détroit liant l'océan Pacifique à l'océan Arctique ; H. C. Ørsted a découvert les principes de l'électromagnétisme et l'aluminium. Niels Bohr, prix Nobel en 1922, est le pionnier de la mécanique quantique ; Bjarne Stroustrup a développé le langage de programmation objet C++ et loin dans le temps, Leif den Lykkelige (le joyeux) avait été le premier à découvrir l'Amérique, qu'il a appelée Pays du Vin (Vinland), presque 5 siècles avant Colomb. L'usage de la connaissance et le génie de l'organisation caractérisen les entreprises danoises. Elles restructurent, sous-traitent et externalisent leurs services vers l'Inde, le Pakistan en même temps qu'elles délocalisent les grandes fabriques vers la Pologne, la Hongrie, la Chine… La faible productivité avait nécessité de revoir certaines fonctions de l'entreprise pour améliorer davantage la rentabilité de ses départements clés. L'externalisation des fonctions cycle client (10), paye, informatique, ressources humaines, juridique, comptabilité, approvisionnements, etc. a prouvé son efficacité (11) qu'elle s'effectue en offshore ou par la centralisation dans un centre de gestion de ces fonctions, notamment pour les implantations internationales d'une entreprise. Ce type de centre peut être implanté localement lorsqu'il y a des avantages à tirer des opportunités d'une telle implantation. Ces centres sont souvent gérés de manière autonome et considérés comme des unités de profits avec des objectifs de rentabilité et de performance. L'ancienne économie n'était pas exigeante en matière de techniques et de connaissances pointues. Il y avait du travail pour ceux ayant un modeste niveau de connaissances. Les voix qui contestaient l'expatriation des manufactures au début du mouvement ne sont plus nombreuses au Danemark. L'industrie manufacturière n'exige pas un niveau élevé de connaissances de la main-d'œuvre. Elle ne sied pas à une équipe, réunissant la société, l'Etat et les entreprises, qui gagne et qui voit loin devant. Même les personnes à capacités physiques et/ou intellectuelles réduites seraient plus heureuses d'apprendre, de s'entraîner et d'acquérir de nouvelles compétences et d'évoluer dans un tel environnement. La responsabilité sociétale : Ce qui fait l'originalité du système danois est le caractère volontaire du partenariat Etat/Entreprises dans la définition et la mise en œuvre de la RSE. L'Etat n'impose pas, par exemple, l'emploi d'un quota d'handicapés ou d'autres groupes sociaux vulnérables. Les milieux d'affaires acceptent d'employer des gens ayant des capacités de travail réduites. Et c'est volontairement que l'Etat rembourse aux entreprises tout coût additionnel associé à ce type de travail, ce qui donne le fameux «travail flexible» : si une personne travaille à 2/3 par rapport au rendement normal, l'Etat rembourse le tiers manquant. Les postes de travail pour des travailleurs à capacité réduite sont variés et peuvent constituer, par exemple, un véritable département de production parallèle chargé du recyclage de l'emballage ou du démontage de pièces destinées au recyclage (plastique, fer, cartons, etc.). Il y a eu des cas où des handicapés sourds-muets pouvaient parfaitement assumer leur travail avec l'assistance d'un interprète en braille, dont l'Etat assume le salaire. Il finance l'apprentissage du danois aux minorités étrangères. D'autres modalités existent, comme l'inclusion dans les programmes de stage des entreprises de chômeurs, afin de les réadapter aux techniques changeantes et avec assistance financière gouvernementale. La formation est considérée comme le principal vecteur de l'insertion professionnelle des personnes privées d'emploi. Le Danemark apprend de ses propres expériences. Il a créé des réseaux régionaux avec des agences gouvernementales afin de s'informer et capitaliser les expériences locales réussies d'intégration. Cette stratégie du «tout le monde est gagnant» (win-win) est une forme de partenariat ; elle est basée sur une compréhension partagée des défis à relever, sur une confiance réciproque, un leadership commun pour la réussite du dialogue constructif permanent et un engagement des acteurs. Chaque personne qui rejoint un poste de travail épargne à l'Etat des subventions qui seront utilisées ailleurs. L'assistance sociale est sans limite de durée et s'articule avec des offres d'activation (formation, stage collectif ou individuel en entreprise (jobtræning) (12), conversion, contrat aidé dans le public ou le privé, activation associée au statut de handicapé… Les personnes ainsi soutenues sont heureuses de changer leur statut passif de charge sociale vers un statut actif. Leurs enfants rejoindront le camp des familles gagnantes. Les entreprises sont aussi gagnantes. Un rapport plus intime tant avec leur société qu'avec leur gouvernement leur donne un visage humain, bénéficiant aux employés, aux clients et à la communauté dans son ensemble. Au marché danois, les produits du terroir sont toujours plus chers que tout produit étranger similaire. C'est au bout du compte, pour les entreprises danoises, une meilleure aptitude pour affronter la concurrence internationale ; et pour le gouvernement la capacité de réduire l'impôt : c'est l'un des mots-clés de l'ordre du jour de l'agenda politique. C'est cette combination de facteurs, ces volontés, cette stratégie réfléchie, ces efforts communs tant de l'Etat, des entreprises que de la manière avec laquelle la société tout entière travaille qui constitue la RSE. C'est le secret expliquant pourquoi avec un taux d'impôt élevé et avec si peu de ressources, les entreprises danoises demeurent citoyennes au plein sens du terme dans la nouvelle économie. Une économie où la valeur réelle résulte de la qualité du travail fourni et de sa contenance en savoir. Les employés danois ne changeront pas d'employeur du moment que leur entreprise partage les valeurs et les vertus auxquelles ils croient. Une saine compétition du marché du travail fait émigrer les meilleurs employés vers les meilleurs employeurs, et les incite à toujours développer de nouvelles techniques, de nouvelles connaissances pour améliorer quotidiennement ce qu'ils font. Toute entreprise a une tradition de dialogue interne. J'ai partagé la réunion hebdomadaire du vendredi à la direction des affaires juridiques de Novo Nordisk durant un an et demi. Il y a toujours des idées nouvelles, toujours un défi à partager et à gagner, toujours un partage des expériences réussies et… des échecs, desquels on apprend, toujours. Peut-on envisager une telle approche en Algérie ? Les hydrocarbures, outre qu'il s'agit de ressources épuisables, ne constituent jamais la richesse d'une nation digne. L'emploi dans le secteur pétrolier et gazier représente actuellement à peine 2% des emplois. La bonne conjoncture du secteur énergétique est insuffisante pour résoudre le chômage, dont le taux reste élevé, les autres défis du développement et encore moins le développement durable. Qui est heureux de l'exclusion sociale et voudrait la favoriser ? Quelle entreprise locale ne rêve pas d'atteindre des performances enviables et le succès ? Quel chômeur se complaît dans son isolement ? Quel citoyen ne rêve pas d'être heureux sans devoir s'expatrier ? Mais quelle stratégie gagnante faut-il adopter pour répondre à ces vœux sinon celle qui implique tout le monde ? Sans cela, le gouvernement peut réguler et dé-réguler à sa guise. Les entreprises peuvent continuer leur routine et, de temps en temps, se permettre des actes philanthropiques publicitaires. Les chômeurs plonger dans l'informel, sinon tenter de traverser la mer au péril de leur vie. Chacun dans son champ de compétences et son ordre du jour, chacun selon ses capacités et ses limites, prenant à chaque initiative ses partenaires potentiels par surprise. Or, ensemble, dans une relation de partenariat mutuellement bénéfique, ils peuvent — on peut si on veut — faire beaucoup mieux. – L'auteur est: Avocat au Danemark et en Algérie Notes de renvoi : – 10) Le cycle client va de l'émission de la facture à son règlement final (facturation, envoi des factures, encaissement, relance, suivi du risque et comptabilité clients). Cette méthode enrichit leur relation client, permet d'accéder à une expertise externe et les ressources libérées sont aussitôt repositionnées sur des fonctions à plus forte valeur ajoutée. – 11) Dans une étude parue en 2006, le leader mondial dans les études de benchmarking, la société Hackett Group, estimait que les 500 premières entreprises européennes pouvaient économiser 15 milliards d'euros sur les coûts si elles faisaient appel aux ressources extérieures. L'externationalisation permet d'économiser quelque 48 milliards d'euros annuellement. – 12) Le jobtraening est un contrat aidé, classé comme subvention à l'emploi.