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Le dossier iranien et le droit international
Publié dans El Watan le 30 - 10 - 2007

Le ministre a affirmé qu'il fallait «se préparer au pire et le pire c'est la guerre». Ces propos, publiés dans le quotidien français Le Figaro le 16 septembre, n'étonnent pas seulement de la part d'un diplomate, mais suscitent aussi l'inquiétude et ajoutent à l'instabilité de la situation actuelle. En effet, la crise du nucléaire iranien se poursuit même si le chef de la diplomatie française est revenu sur ses dires, insistant sur son profond attachement à la paix qui constitue l'objectif de sa vie depuis plus de quarante ans ; et même si le ministre a appelé avant tout à la négociation. L'étude de l'hypothèse d'une guerre reste intéressante du point de vue du droit international.
Par le Traité de non-prolifération nucléaire, communément appelé TNP, les cinq puissances nucléaires (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni) s'engagent à ne pas transférer d'armes nucléaires ni aider les Etats non nucléaires à les fabriquer. De leur côté, les Etats signataires peuvent accéder à l'uranium à des fins exclusivement pacifiques dès lors qu'ils se soumettent aux contrôles in situ de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), située à Vienne. Ces Etats s'engagent à ne pas se doter d'armes nucléaires. Il est vrai que l'Iran a décidé politiquement et juridiquement de ne pas fabriquer d'arme nucléaire.
D'une part, en signant le TNP, en vigueur depuis 1970, l'Iran profite de la construction équilibrée qui lui permet de développer des applications pacifiques de l'atome, droit inaliénable pour un Etat non doté. D'autre part, dans ce cadre, une obligation de faire bénéficier les Etats non dotés des retombées bénéfiques des applications de l'atome pèse sur les Etats dotés. L'Iran peut entamer des recherches civiles et bénéficier de l'énergie nucléaire (article 4) dès lors qu'il respecte son engagement de ne pas chercher à acquérir des armes nucléaires (article 2).
Toutefois, les motifs poussant l'Iran à acquérir un arsenal nucléaire sont nombreux et assez convaincants. Tout d'abord, il n'y a pas dans le domaine international de lutte contre la prolifération nucléaire de garanties positives (engagement d'une puissance nucléaire de prendre des mesures de protection) dans le cas où un Etat non doté serait menacé de l'arme nucléaire) ou négatives (engagement pris par un Etat doté d'armes nucléaires de ne pas utiliser ses armes contre un Etat non doté) de sécurité. Ensuite, il n'y a pas d'égalité entre les différents Etats : Israël, l'Inde et le Pakistan, s'engagent simplement à ne pas proliférer tout en possédant déjà des armes nucléaires tandis que l'Iran en est empêché. Aussi, la Communauté internationale appelle-t-elle de ses vœux le maintien de l'engagement de l'Iran par le TNP alors que la Corée du nord s'est retirée de cet accord. Par ailleurs, en ce qui concerne la situation géopolitique, elle est en pleine évolution : le projet iranien de devenir le corridor principal pour le gaz et le pétrole pour la mer caspienne, s'est vu stoppé par les Etats-Unis qui, en 1996, ont adopté la loi Amato qui interdit aux compagnies étrangères d'investir plus de 40 millions de dollars sous peine de sanctions. En outre, l'encerclement par des bases militaires américaines contribue à cette inquiétude iranienne : Kirghizistan, Ouzbékistan, Afghanistan, Pakistan à l'est, Irak et Turquie à l'ouest. Enfin, la prolifération nucléaire est aujourd'hui devenue la règle dans la région et non l'exception (Israël, Inde et Pakistan).
Cependant, dans le cadre de la lutte internationale contre la prolifération nucléaire, l'Iran s'est engagé à ratifier un accord avec l'AIEA pour vérifier la nature réelle des travaux civils et pacifiques (Article 3). Concrètement, l'Etat intéressé livre une liste des installations qu'il place sous le contrôle de l'Agence. Or, l'Iran s'est doté d'une centrale nucléaire (nucléaire civil) à Buchehr avec l'aide de la Russie. Le 18 décembre 2003, L'Iran a signé à Vienne un protocole additionnel au TNP. Ce qui permet à l'AIEA de procéder à des contrôles approfondis et inopinés dans les sites nucléaires. De nombreuses violations ont été constatées sans que puissent être apportées des preuves formelles. Le Conseil des gouverneurs de l'Agence a rendu de nombreux rapports depuis 2003 appelant l'Iran à la transparence et à la suspension de ses activités d'enrichissement de l'uranium. Suite à l'accord de Paris du 15 novembre 2004, entre les chefs des diplomaties français, anglais et allemand, l'Iran accepte la pleine coopération avec l'AIEA, mais les activités reprennent. Aux Nations unies, la communauté internationale demande la fin de ces activités illégales au vu des obligations internationales de l'Iran et saisit le Conseil de sécurité, en février 2006. Ainsi, la voie de la négociation dans un cadre multilatéral de sécurité collective est préférée. Le Conseil de sécurité a adopté trois résolutions. La résolution 1696, obtenue à la quasi-unanimité, en date du 3 juillet 2006, par laquelle l'organe exécutif de l'ONU demande à l'Iran une réelle et pleine coopération avec l'AIEA. La suspension des activités litigieuses devient obligatoire. Le Conseil déclare son intention, au cas où l'Iran n'aurait pas appliqué ces dispositions, d'adopter, sous l'empire de l'article 41 du chapitre VII de la charte des Nations unies, toutes autres mesures qui pourraient être requises pour persuader l'Iran de se conformer à cette résolution et aux exigences de l'AIEA. Actuellement, l'Iran n'a pas décidé de mettre un terme complet et durable à toutes les activités liées à l'enrichissement de l'uranium. Ainsi, l'année 2006 illustre le refus de l'Iran d'appliquer volontairement le protocole additionnel contracté. Le 31 décembre 2006, le directeur général de l'AIEA présente un rapport au Conseil de sécurité, dans lequel il affirme que l'Iran n'a pas respecté les dispositions de la résolution 1696. A ce stade, certifier la nature pacifique du programme nucléaire iranien s'avère impossible. Deux résolutions supplémentaires ont été prises : la résolution 1737 (du 23 décembre 2006) et la résolution 1747 (du 24 mars 2006). Parallèlement, le 9 avril 2006, le président iranien Ahmadinedjad annonce officiellement que le programme d'enrichissement est entré dans sa «phase industrielle» et le président de l'organisation iranienne de l'énergie nucléaire affirme l'existence de 30 000 centrifugeuses à Natanz, au centre du pays.
La «légitimité» de la force
Malgré cette situation potentiellement dangereuse, déclarer la guerre à l'Iran demeure peu réaliste dans la perspective du droit international. Tout d'abord, parce que ce dernier prohibe le recours unilatéral à la force armée. En premier lieu, l'article 2§4 de la charte des Nations unies qui prévoit que l'Organisation et ses membres agissent, dans la poursuite des buts énoncés à l'article 1, conformément aux principes suivants : «Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de tout autre manière incompatible avec les buts des Nations unies».
Dans le même sens, le paragraphe 7 du préambule de la charte de l'ONU constitue un indice supplémentaire puisqu'il évoque des principes à accepter et des méthodes à instituer garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun. Quant à l'article 1§1 du même texte, relatif aux objectifs des Nations unies, il est centré sur la nécessité de «Maintenir la paix et la sécurité internationales» comme idéal de l'organisation mondiale. Par ailleurs, la Cour internationale de justice érige le principe d'interdiction de l'emploi de la force au rang de norme impérative du droit international.
A ce principe général d'interdiction de l'usage de la force armée, on compte deux exceptions. La première consiste en la règle de légitime défense concédée aux Etats et consignée à l'article 51 de la Charte qui précise : «Aucune disposition de la présente charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales». Conformément à ce texte, des opérations militaires contre l'Iran ne peuvent donc pas être justifiées. En effet, envisagée classiquement sous l'angle de l'interétatisme, l'agression se définit comme «l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat» (Résolution 3314, rendue par l'Assemblée générale, le 14 décembre 1974). Donc, dans notre cas, la condition préalable à l'exercice du droit de légitime défense fait défaut. Autrement dit, si la légitime défense exercée ne se limite pas à repousser l'agression, inexistante, il s'agira alors d'une opération offensive contraire au principe prohibant le recours à la force.
Reste alors la seconde exception, celle du recours au chapitre VII de la charte, consacré à l'action en cas de menace de la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. Dans ces deux cas dérogatoires, la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationales revient en dernier ressort au Conseil de sécurité. Cet organe se voit reconnaître un véritable pouvoir discrétionnaire. Il décide des opérations militaires contraignantes dans le domaine de la sécurité collective, ce qui constitue le pendant du droit de légitime défense consacré par l'article 51 de la charte des Nations unies.
Dans ce chapitre VII, les articles 39 et 42 prévoient que «le Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales» et «si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations unies».
Finalement, il apparaît que l'unique cadre permettant le recours à la force armée doit être multilatéral et c'est le cœur du problème étant donné les intérêts divergents des Etats : la Russie et les Etats-Unis en particulier puisque les mesures collectives contraignantes contenues dans l'article 42 ne peuvent être adoptées sans le plein accord et la coopération active des membres permanents du Conseil de sécurité. Ces Etats, que sont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni, bénéficient du droit de veto dans la prise des décisions. Or, la position russe se distingue si l'on considère les déclarations du président Poutine. Le chef de l'Etat russe a déclaré, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le 10 février 2007, dans un discours intitulé «La gouvernance unipolaire est illégitime et immorale» que «la charte des Nations unies est l'unique mécanisme d'adoption de décisions sur l'emploi de la force en tant que dernier recours» et d'ajouter que «l'usage de la force n'est légitime que sur la base d'un mandat des Nations unies». Ainsi, la Russie renouvelle son choix du dialogue et de la négociation. Bien sûr, la Russie encourage le renforcement du système de non prolifération mais comme l'a affirmé Sergueï Karaganov, directeur de l'institut de l'Europe et président du conseil de politique étrangère et de défense : «Les Iraniens ont un droit moral à vouloir acquérir l'arme nucléaire. Ils vivent dans une région très dangereuse. Au sud, le Pakistan nucléaire qui peut exploser à tout moment ; à l'ouest, l'Irak instable avec des troupes militaires américaines ; plus loin, Israël, nucléaire aussi et que Téhéran qualifie d'ennemi acharné». Malgré la question de l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire, que la Russie ne peut évidemment pas accepter – en se trouvant dans le voisinage de la source de la menace éventuelle – et même si elle s'associe à la volonté des puissances occidentales de rendre le programme nucléaire iranien entièrement transparent, elle refuse l'adoption de nouvelles sanctions tant que l'AIEA n'a pas publié son rapport sur la coopération iranienne, en novembre. Cette position, qui peut sembler ambivalente, s'explique par la volonté russe de concilier son attachement au principe de non prolifération nucléaire, en particulier dans cette région, son statut d'associé de l'Iran dans le domaine du nucléaire civil et son aspiration à devenir un intermédiaire entre les Etats-Unis, d'un côté et la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne de l'autre. C'est ce qui résulte de la dernière visite du président russe à son homologue iranien, le 16 octobre.
Cette position tactique évolutive fait échec aux desseins européen et américain. La France, par exemple, ne cesse d'appeler à la prise de sanctions économiques et financières, en dehors du cadre des Nations unies, persuadée qu'elle n'obtiendra pas, de cette organisation, l'adoption d'une résolution supplémentaire plus sévère, comme le souhaitent aussi les Etats-Unis. D'ailleurs, lors d'une rencontre européenne au Luxembourg, le 15 octobre, les 27 ministres des Affaires étrangères ont débattu des mesures restrictives que l'Union européenne pourrait adopter. Quant à la perspective américaine, elle ne peut raisonnablement qu'exclure l'hypothèse d'une guerre vu le chaos irakien, la situation financière du pays et l'absence de soutien de l'opinion publique.
La responsabilité de protéger
Enfin, deux hypothèses doivent être envisagées. D'abord, le recours au concept d' «ingérence humanitaire», qui trouve son origine dans l'idée que le principe de non ingérence, garanti par l'article 2§7, ne doit pas avoir pour fonction la protection des dictateurs ; il doit donc être limité. Sur la base de cette doctrine, il faut protéger les citoyens tiers. L'objectif est de légitimer le recours à la force en cas de violations massives et flagrantes des droits de l'homme, sans le consentement du gouvernement de l'Etat où a lieu l'ingérence, et sans l'autorisation du Conseil de sécurité. On en trouve un exemple controversé dans l'opération de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) au Kosovo au printemps 1999, en réponse au déplacement de populations albanaises par le régime de Milosevic. Heureusement ou malheureusement, les preuves ne suffisent pas, ni en ce qui concerne la pratique étatique ni pour ce qui touche à l'élément psychologique (Opinio Juris), à affirmer l'émergence d'un principe de l'ingérence humanitaire comme exception à la prohibition du recours à la force armée. Mais il sera toujours loisible aux Etats de l'utiliser sans visée humanitaire précise.
Reste la «responsabilité de protéger», il s'agit du même concept sous un nom différent : faire en sorte que la communauté internationale ne se désintéresse pas des violences subies par les hommes. On voit donc clairement que toutes ces dispositions juridiques ne peuvent jouer dans le cas iranien. Ce qui permet de confirmer les propos du professeur Oscar Schachter qui insistait sur l'idée que «ni l'échec des Nations unies ni les violations de sa charte ne peuvent justifier le droit des Etats de recourir librement à la guerre. Il serait hasardeux et dangereux de conclure que les entorses de certains à la règle commune permettent aux autres de violer une règle aussi fondamentale pour la société internationale, que ce soit au nom du principe de réciprocité ou d'un changement de circonstances».
L'auteur est: Doctorante à la faculté de droit d'Aix-en-Provence, Université Paul Cézanne


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