Six anciens ambassadeurs européens en Iran ont rédigé une tribune à l'occasion de l'anniversaire de la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le nucléaire iranien. Cette tribune est publiée simultanément aujourd'hui dans plusieurs journaux internationaux : la Republica, le Monde, El Watan, le Temps de Genève, le Devoir de Montréal, le Globe and Mail de Toronto, le Los Angeles Times, O Estado de Sao Paulo, le Financial Times, le Frankfurt, Allgemeine Zeitung, le Soir et De Standaard de Belgique. Nous avons été ambassadeurs de différents pays européens en Iran dans la dernière décennie. Nous avons suivi de près la montée de la crise entre ce pays et la communauté internationale sur la question nucléaire. Le long enlisement de ce dossier nous est inacceptable. Le monde arabe et le Moyen-Orient entrent dans une nouvelle époque. Aucun pays n'est à l'abri du changement. La République islamique d'Iran subit la désaffection de la meilleure part de sa population. Partout, de nouvelles perspectives se dessinent. Les périodes d'incertitude sont propices aux remises en question. Le moment est venu de le faire sur la question nucléaire iranienne. En droit international, la position de l'Europe et des Etats-Unis est moins solide qu'il n'y paraît. Elle s'incarne, pour l'essentiel, en une série de résolutions votées au Conseil de sécurité qui font référence au chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorisant la mise en œuvre de mesures coercitives en cas de «menaces contre la paix». Mais où est la menace ? Serait-ce l'enrichissement d'uranium dans les centrifuges iraniennes ? Il s'agit certes d'une activité nucléaire sensible menée par un pays sensible, dans une région elle-même hautement sensible. La préoccupation exprimée par la communauté internationale est légitime et l'Iran a un devoir à la fois moral et politique d'y répondre. Mais rien dans le droit international, rien dans le Traité de non-prolifération (TNP) n'interdit en son principe une telle activité. D'autres pays que l'Iran, signataires ou non du TNP, s'y adonnent sans être accusés de menacer la paix. Et cette activité est soumise en Iran aux inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Certes, ces inspections sont bridées par un accord de garanties obsolète, datant des années 1970. Mais il est vrai aussi que l'AIEA n'a jamais relevé en Iran de détournement de matières nucléaires à des fins militaires. La «menace contre la paix» serait-elle dans l'avancement d'un programme clandestin de construction d'une arme nucléaire ? Depuis au moins trois ans, la communauté américaine du renseignement ne retient plus cette hypothèse. Son directeur, James Clapper, témoignait en février dernier au Congrès : «Nous continuons à penser que l'Iran garde ouverte l'option du développement d'armes nucléaires. Toutefois, nous ne savons pas si l'Iran décidera finalement de construire des armes nucléaires. Nous continuons de juger que le processus de décision de l'Iran en matière nucléaire est guidé par une approche en termes de coût et d'avantages, ce qui offre à la communauté internationale des occasions d'influencer Téhéran.» Aujourd'hui, une majorité d'experts, y compris en Israël, semble plutôt estimer que l'Iran cherche à se poser en «pays du seuil», techniquement capable de produire une bombe, mais s'abstenant pour l'instant de le faire. On peut à bon droit le regretter, mais rien dans le TNP, rien dans le droit international, n'interdit une telle ambition. D'autres pays que l'Iran, engagés comme lui de ne jamais se doter de l'arme nucléaire, ont déjà atteint un tel seuil, ou sont en passe d'y parvenir. Ils ne sont pas autrement inquiétés. Mais, nous dit-on, c'est la mauvaise volonté de l'Iran et son refus de sérieusement négocier qui ont obligé nos pays à le traîner en 2006 au Conseil de sécurité. Là encore, les choses sont moins claires. Rappelons qu'en 2005, l'Iran était prêt à discuter d'un plafond au nombre de ses centrifugeuses et à maintenir le taux de son enrichissement très au-dessous des hauts pourcentages d'intérêt militaire. Il se montrait surtout disposé à mettre en œuvre le Protocole additionnel qu'il avait déjà signé avec l'AIEA, autorisant des inspections intrusives sur l'ensemble de son territoire, même sur des sites non déclarés. Mais à l'époque, les Européens et les Américains voulaient contraindre l'Iran à renoncer à son programme d'enrichissement. Et au moins dans l'esprit des Iraniens, le même objectif plane toujours derrière l'insistance du Conseil de sécurité à obtenir la suspension de toutes les activités d'enrichissement. Avant d'accuser ce pays de bloquer la négociation, il est temps d'admettre que l'objectif «zéro centrifuge opérant en Iran», de façon définitive ou même temporaire, a tout d'une prétention irréaliste et a conduit à l'impasse actuelle. Reste un dilemme assurément présent dans la tête de beaucoup de nos dirigeants. Pourquoi offrir au régime iranien une ouverture qui pourrait l'aider à restaurer sa légitimité interne et internationale ? Ne vaut-il mieux pas attendre que lui succède un régime plus présentable ? C'est une vraie question. Mais c'est peut-être exagérer l'effet de cette négociation nucléaire sur des évolutions intérieures bien plus profondes. Ronald Reagan qualifiait l'URSS d'«empire du mal». Il a néanmoins intensément négocié avec Mikhaïl Gorbatchev en matière de désarmement nucléaire. Doit-on lui reprocher d'avoir retardé le cours de l'histoire ? Les pays intéressés par l'avenir de l'Iran doivent certainement maintenir la pression sur les questions de droits politiques et de droits de l'homme, mais aussi s'obliger à régler une question entêtante et urgente de prolifération. Nous réduirons ainsi une source importante de tension dans une région qui aspire plus que jamais à la tranquillité. L'échec de la rencontre de janvier dernier à Istanbul et le décevant l'échange de lettres entre les deux parties qui a suivi mettent en relief les difficultés de sortie d'un aussi long blocage. Sur la méthode, plus la négociation sera discrète et technique, plus elle aura de chances d'aboutir. Sur le fond, l'on sait déjà que toute solution se construira sur la qualité du dispositif d'inspection de l'AIEA. Et là, ou nous avons confiance en la capacité de l'AIEA à surveiller tous ses états-membres, Iran compris. Ou nous ne lui faisons pas confiance, et là on se demande pourquoi conserver une organisation efficace avec les seuls pays vertueux. De fait, la première étape serait sans doute pour les deux parties de demander ensemble à l'AIEA ce qui lui paraîtrait nécessaire pour contrôler pleinement le programme nucléaire iranien et garantir de façon crédible qu'il est bien pacifique dans toutes ses dimensions. Sur la base de sa réponse, une négociation pragmatique pourrait s'engager. -Guillaume Metten (Belgique), -Roberto Toscano (Italie), -François Nicoullaud (France), -Richard Dalton (Royaume-Uni), -Steen Hohwa Christensen (Suède), -Paul VonMaltzahn (Allemagne), anciens ambassadeurs en Iran