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Chronique d'une insurrection oubliée
Publié dans El Watan le 22 - 11 - 2007


Francisco Pizarro est-il le conquistador que l'historiographie espagnole a consacré depuis plusieurs siècles ? Deux archéologues péruviens, Guillermo Cook et Elena Goycochea, viennent de prouver le contraire. L'aventurier espagnol s'est en fait totalement appuyé sur une coalition de tribus indiennes pour s'emparer du Pérou et détruire l'empire inca. Dans La révolte inca, diffusé sur Arte, le documentariste américain Graham Townsley décrit les événements qui ont permis à Guillermo Cook et Elena Goycochea de parvenir à une conclusion qui a ébranlé des certitudes jusque-là bien assises. Pour cela, les deux chercheurs péruviens ont procédé à une spectaculaire exploration du temps. Tout avait commencé avec la découverte par Cook et son équipe de sépultures dans le cimetière inca dans une banlieue de Lima, à proximité d'une autoroute en projet de construction. La position couchée des dépouilles intrigue Cook et Coycochea car elle ne correspond aux traditions funéraires des Incas qui inhumaient leurs morts accroupis.Les deux archéologues en déduisent que ces morts ont été enterrés dans l'urgence.Ils décident de procéder à l'examen médico-légal des dépouilles et découvrent que les morts du cimetière inca avaient péri dans des circonstances d'une violence extrême. Les squelettes exhumés révèlent notamment que l'un d'entre eux a vraisemblablement été tué à l'aide d'une arme à feu. Des examens plus poussés à l'aide de technologies d'analyse avancées confirment l'intuition des deux archéologues péruviens. Les autres dépouilles portent les traces de coups assénés par des objets contondants que les experts identifient comme les armes en pierre utilisées par les guerriers indiens de l'empire inca. Ces découvertes amènent l'équipe de Cook à comprendre ce qui s'est passé. Leurs investigations les amènent à établir que les dépouilles du cimetière inca avaient vécu à l'époque de l'invasion du Pérou par quelques centaines d'Espagnols conduits par Francisco Pizarro. Ce dernier, né entre 1471 et 1478, a largement dépassé la cinquantaine lorsqu'il entreprend sa troisième expédition contre le Pérou dont il convoite, pour la couronne espagnole, le territoire et les fabuleuses réserves d'or. Ne sachant ni lire ni écrire, Pizarro a fait son chemin dans la vie les armes à la main. Il débarque au Pérou au moment où celui-ci est en proie aux convulsions de la guerre. Atahualpa, qui vient de se faire proclamer empereur des Incas après sa victoire contre ses rivaux, ne se méfie pas de ces étrangers et se rend à l'invitation de Pizarro qui le fait prisonnier par traîtrise. L'aventurier espagnol reçoit des tonnes d'or en paiement de la rançon de l'empereur qu'il fera tout de même exécuter. Vient alors une longue période de résignation des Incas qui attendront 1536 pour faire le siège de Lima, la Cité des Rois, que Pizarro avait fondée 18 mois plus tôt. L'armée inca est forte de milliers d'hommes alors que Pizarro ne peut compter que sur quelques centaines d'hommes et une cavalerie constituée d'une trentaine de chevaux. Au moment où ces faits se déroulent, la population du Pérou est estimée à 10 millions d'habitants. L'armée lancée contre Pizarro aurait taillé en pièces les envahisseurs espagnols sans l'intervention d'une coalition de tribus indiennes ennemies acharnées du pouvoir inca. Ces tribus indiennes étaient venues à la rescousse à la demande de la concubine indienne de Pizarro qui était la fille d'un puissant chef. L'armée inca avait battu en retraite sous les coups des guerriers indiens qui étaient persuadés que les Espagnols allaient les libérer du joug impérial. La férocité des guerriers indiens atteignit à l'horreur. Des milliers de morts restèrent sur le champ de bataille lors de cette terrible journée d'août 1536. Les tribus indiennes, qui s'étaient retournées contre leur propre communauté, venaient de se livrer pieds et poings liés à un oppresseur encore plus implacable. Pizarro n'avait jamais eu l'intention de les aider à être libres. Il leur imposa une domination impitoyable en commençant d'abord par nier leur participation à la bataille pour s'en attribuer le mérité. Dès lors, le sort du Pérou était scellé. Des siècles plus tard, ce sont des Péruviens qui ont rétabli la vérité historique en s'appuyant sur des données scientifiques. L'insurrection d'août 1536 avait été occultée car ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. Francisco Pizarro avait compris, lui, que diviser c'est régner.

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