A l'heure où l'Union méditerranéenne cherche ses repères, il a d'abord été question, sous le thème «Chine-Méditerranée, vers de nouveaux partenariats», des stratégies et des méthodes chinoises dans cette région et de leurs effets réels ou prévisibles sur les relations euro-méditerranéennes. Conclusion des premières tables rondes : la Chine reste une menace à court terme pour les échanges entre les deux rives de la Méditerranée mais ne saurait constituer une alternative au partenariat de cette zone avec l'Europe. «Seule l'Europe partage un destin commun avec la Méditerranée, un véritable partenariat économique, politique et culturel», voilà la réponse européenne aux prétentions chinoises. En réaction, les représentants chinois MM. Haichao Sun — conseiller politique de l'ambassade de Chine à Paris — et Shullin Wang -vice-président de la Banque mondiale de l'économie du développement et ancien conseiller du gouvernement chinois — ont souligné le profond intérêt de la Chine pour ces «pays pauvres frères», avec lesquels une réelle coopération sur un pied d'égalité est possible, dans le cadre d'une «mondialisation voulue par l'Occident et acceptée par la Chine». D'ailleurs, les émissaires chinois ont rappelé que leur pays ne se contente pas d'exporter des produits manufacturés vers le sud de la Méditerranée, mais participe également à la formation des élites de cet espace, par une aide à la mobilité pour les étudiants, contribue à la construction d'infrastructures et aide au développement de ces pays, notamment par l'annulation de leur dette. Réagissant aux propos sur la mondialisation, Slimane Benaïssa, écrivain et dramaturge algérien, regrettait que sa mère lui «prépare des nems et (lui) serve une chorba à base de vermicelles de riz à Alger», dans une Algérie sous l'ombre chinoise. Pierre Deusy, chef économiste Méditerranée à la Commission européenne est revenu sur la surprise de l'Europe d'assister à l'offensive chinoise en Afrique et notamment en Algérie. Pour lui, le secret du succès chinois en Algérie réside dans sa tactique d'investissement : «Pour gagner, il faut savoir perdre ; or, la Chine n'est pas tenue par une rentabilité à 15% comme la plupart des grandes sociétés occidentales détenues par des fonds de pension américains». Si le but de la Chine est avant tout économique, elle développe en parallèle une stratégie à long terme. Cela est possible, d'une part, parce que la Chine est aussi un pays du «sud» et parce qu'elle n'impose à ses partenaires du bassin méditerranéen et de l'Afrique subsaharienne aucune conditionnalité d'ordre politique, d'autre part. Christian Stoffaës – du Cercle des économistes – partage cette conviction et soutient qu'«une fois qu'elle aura créé des dépendances économiques intégratrices, la Chine inaugurera une phase diplomatique». La question de la manière dont la Chine va développer son influence géostratégique en Méditerranée se posera alors. Le spécialiste note que d'ores et déjà, la Chine défend une position stabilisatrice et pacifiste au Moyen-Orient, en Irak comme en Iran. Faut-il pour autant oublier le caractère conflictuel de la politique chinoise à l'égard de son Ouest : Tibet, Xinjiang…? Un participant dans la salle semble le penser. Il dénonce, sans que le public ne réagisse, la légende que la presse entretiendrait, en couvrant les prétendues tensions dans la province du Xinjiang, comme pour garantir que la Chine reste l'amie de la Méditerranée. A ce stade des commentaires, Marie-Françoise Renard – doyen de l'université de Clermont-Ferrand – explique que «la Chine n'a pas d'effet d'éviction vis-à-vis de l'UE. Elle ne va pas à l'encontre du partenariat euro-méditerranéen». L'inquiétude qu'elle suscite est salutaire car elle permet à l'Europe de rester vigilante par rapport au commerce Sud-Sud. L'Europe doit réagir en saisissant des initiatives qui ne manquent pas. Et d'ajouter qu'aujourd'hui, la coopération euro-méditerranéenne garde toute sa pertinence au vu de la proximité géographique qui représente un atout manquant cruellement à la Chine. Par ailleurs, des critiques se font jour quant à la qualité des réalisations chinoises. Autrement dit, comme le précise Pierre Deusy, «il est indéniable que passer des commandes entre Marseille et Alger est une formalité et, si la Chine reste imbattable dans les contrats qu'elle signe avec l'Algérie sur le critère de rapidité, les doutes deviennent de plus en plus légitimes sur la résistance antisismique des constructions chinoises de logements en Algérie, par exemple, ou la fiabilité d'autres infrastructures.» C'est ce ton qu'ont adopté les conférenciers l'après-midi. Les échanges ont concerné l'espace que pourrait reconquérir l'Union européenne et les méthodes pour y parvenir. Trois tables rondes se sont enchaînées. D'abord, un plébiscite du projet d'Union méditerranéenne, relancé par le président français Nicolas Sarkozy à travers «les enjeux politiques, culturels et institutionnels des relations euro-méditerranéennes». Ensuite, la question des «infrastructures, biens collectifs et communications en Méditerranée», sous le patronage de la Banque européenne d'investissement. Enfin, une réflexion sur «l'apport possible d'une Union méditerranéenne pour la convergence économique et sociale». Débats au cours desquels, François Gouyette – ambassadeur de France pour le processus de Barcelone – a dressé le constat de l'échec du partenariat euro-méditerranéen, lancé en 1995, mais dont il faut, paradoxalement, s'inspirer pour réaliser le projet – plus pragmatique mais complémentaire – de l'Union méditerranéenne. Pour sa part, l'unique intervenant algérien effectivement présent – Mohamed Seghir Babes – président du Conseil national économique et social – s'est interrogé sur le contenu de ce projet sur une scène saturée de paradigmes (accords d'association entre l'UE et certains pays de la rive sud, politique européenne de voisinage et processus de Barcelone) et a insisté sur le rôle que doit jouer la société civile en saluant l'initiative «inédite et originale» de la Conférence des sociétés civiles organisées, qui s'est déroulée en septembre 2006. M. Babes a également interpellé l'auditoire sur le fait que «si le Nord regarde le Sud, le Sud regarde lui aussi son sud et l'Algérie se tourne vers son hinterland africain». Selon lui, «l'Union méditerranéenne, si elle doit émerger, ne doit pas ignorer ce mouvement ascensionnel», ce «bottom up». Il s'agit, pour Jacques Huntzinger, d'un projet nouveau «à géométrie variable, à mixité d'acteurs et de financement – avec des riverains volontaires et des non riverains volontaires, avec des apports publics, institutionnels ou privés–, avec une institutionnalisation minimale et une égalité des statuts». De l'avis de plusieurs participants, ce projet doit intégrer trois chapitres : l'énergie, avec la mise en place d'un projet euro-méditerranéen, le transport eu égard aux besoins en infrastructures et, enfin, l'entreprise. Parce que le sud de la Méditerranée «a besoin de tuyaux, de passerelles et pas forcément d'argent» comme l'a souligné Olivier Pastré – du Cercle des économistes. Reste à définir l'articulation de ce projet d'Union méditerranéenne avec l'Union européenne. Si ces deux entités ne doivent pas être confondues, les spécialistes, qui pour l'instant emploient indifféremment les deux expressions, devront montrer l'exemple. Rendez-vous est pris, pour une séance de rattrapage, en juin 2008, à Marseille, où tous les gouvernements méditerranéens seront invités à un sommet de l'Union méditerranéenne.