Les vieilles personnes, qui sont encore en vie, ont, indubitablement, beaucoup de choses à nous apprendre, pour ne pas dire participer à l'éveil culturel. En tout cas c'est la déduction qu'on a faite d'un entretien avec une vieille dame de plus de 90 ans. Djouhra H., habite le village haut perché de Tigrine, dans la commune de Boudjellil. En cherchant dans le fond de sa mémoire, elle s'est remémorée un troubadour, un rhétoricien et tambourinaire qui était contemporain de Si Moh ou M'hand. Il s'agit de Hamou Ali Oubache, qui naquit présumé en 1855 et mourut en 1930. Ce poète, inconnu de nos jours, a marqué son époque par ses « extravagances orales » et ses vers pleins de rhétorique et de lucidité. Ce fut quelqu'un qui raillait proverbialement le quotidien des villageois, en rimant ou en énonçant des apophtegmes (sentences mémorables) sur des situations données ou de la vie en général. Comme dit un dicton kabyle : « il avait toujours de la monnaie à rendre ». Ce fut un personnage adulé et qu'on écoutait religieusement. Il habitait le village d'Ath Ouihdane et vivait comme berger. Il animait les fêtes de mariage, car ayant été aussi tambourinaire (adhebal). Notre interlocutrice, Djouhra, dit qu'elle a connu ce poète alors qu'elle était une petite fille. Si elle a pu nous déclamer quelques vers, c'est que Hamou Ali avait vraiment une aura dans la région, surtout à Toudrine (Tigrine, Ath Ouihdane et Hamda) et dans toute la région d'Ath Abbas. Le caractère anecdotique de ses paroles, la subtilité de ses jugements (des situations données) et sa façon de versifier la réalité vécue ont fait de lui un personnage peu commun qui suspend les autres à ses lèvres. Djouhra demeure la seule personne qui a pu garder jalousement quelques strophes de ce ménestrel. Des vers qui nous viennent d'une autre époque, complètement révolue, et que cette brave dame a pu sauver de l'oubli même si sa mémoire fléchit par moment. Toutefois, ce n'est pas rien du tout que « d'exhumer » des textes poétiques qui ont leur pesant d'or, parce que déclamés vers la fin du 19e siècle. Ces quelques vers, que l'on a pu sauver de l'oubli, ne peuvent, hélas, cerner le personnage de Hamou Ali Oubache. Le caractère exclusivement oral de la culture kabyle à cette époque a fait que le patrimoine immatériel perde beaucoup de sa richesse. Hamou Ali Oubache donnera une fière chandelle à Djouhra, s'il était vivant.