Il a vécu pour son peuple, et il est mort pour son peuple. Son épouse Hida a promis de continuer le combat : «Nous porterons la bannière de Habache et de la nation arabe qu'il chérissait. Habache a toujours cru que la Palestine serait libérée.» Adversaire irréductible de l'Etat juif, dont le FpLP prônait la destruction, Habache était un chef de guérilla marxiste en qui nombre de Palestiniens célébraient un patriote. Son nom de guerre, El Hakim, il le doit beaucoup plus à sa qualité de médecin. Car, El Hakim, veut dire aussi sage. Etait-ce le cas pour ce révolté, marqué à vie, à 22 ans, par l'expulsion de sa famille de Palestine en 1948, lors de la fameuse Nakba, qui restera comme une plaie profonde et douloureuse dans la mémoire collective des Arabes ? De ce triste épisode, George ne se relèvera jamais. C'est sans doute ce qui a affiné sa personnalité attachante, populaire, parfois timide, jusqu'à l'effacement, mais aussi intransigeante, sévère, pour ne pas dire dure lorsqu'il s'agit de dénoncer toutes les injustices, toutes les vilenies. Alors sage, Habbache ? Tous ceux qui l'ont connu diront qu'en l'espèce, George, main de fer dans un gant de velours, savait faire la part des choses, même dans le feu des actions périlleuses. Le médecin qu'il fût, proche des humbles, a été un combattant incisif et déterminé. Comment disséquer la personnalité de cet homme tourmenté qui a passé pratiquement toute sa vie à défendre la cause des siens avec une rare énergie et une fougue juvénile de tous les instants, malgré une santé déclinante. Convaincu de la nécessité de mener jusqu'au bout la lutte pour récupérer la patrie perdue, il a toujours personnifié le front du refus au sein du mouvement palestinien. Toute son action politique a été caractérisée par le rejet du compromis. «Il est modeste, chaleureux, amical, délicat, disait de lui un de ses amis, militant de la vieille garde palestinienne. Mais, quand il s'agit de politique, c'est un chef dur et obstiné dans le carcan de ses convictions.» Un militant convaincu Ainsi était l'homme ; avec ses deux traits de caractère qu'il a su allier et qui ont fait de lui un homme respecté même par ses adversaires les plus farouches. Une de ses proches dresse avec tendresse, mais sans indulgence, son portrait : «Je l'ai toujours respecté, non parce qu'il était marxiste-léniniste, ce que je n'ai jamais été, non parce qu'il était chrétien, ce qui m'importait peu. Non parce qu'il faisait référence à la laïcité ; d'autres que lui, y compris Arafat, le faisaient également. Non pas que je soutenais ses actions résistantes souvent violentes, alors que je me suis toujours définie comme non violente. Mais avait-il le choix ? Est-ce que les Palestiniens avaient d'autres choix que cette résistance aussi dure pour eux que pour leur ennemi, alors que personne n'écoutait leur douleur d'avoir perdu leur terre, leur histoire, leur vie de tous les jours…Je l'ai respecté parce qu'il a toujours prôné une Palestine démocratique et laïque pour tous les habitants de cette terre, de la Méditerranée au Jourdan. Et, contrairement à d'autres dirigeants palestiniens, il n'a jamais varié sur ses déclarations et ne s'est jamais compromis avec des accords de soumission.» Voilà, en résumé, le portrait du leader historique qui symbolisait le front du refus qui a accompli et revendiqué nombre d'actions spectaculaires comme les détournements d'avions et des opérations commandos contre les intérêts israéliens… Cet homme-là est mort samedi à l'âge de 82 ans, à Amman, en Jordanie. Ironie de l'histoire, dans le pays- même qu'il n'a cessé de combattre toute sa vie durant, et bien avant Septembre Noir, de triste mémoire. Marqué par la nakba Né le 2 août 1926 à Lydia en Palestine (aujourd'hui Lod) dans une famille de commerçants grecs orthodoxes, George a suivi un cursus scolaire sans accrocs, jusqu'à cette fatidique année 1948. Alors qu'il suit des études de médecine à l'université américaine de Beyrouth, son destin bascule devant la barbarie à visage inhumain de la Hagannâh, milice sioniste qui s'emploie violemment à nettoyer ethniquement la Palestine. La population arabe de sa ville natale est priée de quitter les lieux dans l'heure, sous peine de mort. Les protestataires sont froidement abattus. Habbache assiste impuissant à ce triste épisode. Des centaines de femmes et d'enfants sont tués. En six mois d'opérations, ce sont 800 000 Palestiniens qui prennent le chemin de l'exil. Habbache retourne à Beyrouth où il fonde, avec un autre étudiant palestinien grec orthodoxe, Waddie Haddad, Les jeunesses de la vengeance, un groupe armé clandestin visant à faire pression sur les dirigeants arabes, en éliminant ceux qui collaborent avec l'occupant sioniste. Avec son doctorat en poche et sa spécialisation en pédiatrie, il part avec son ami soigner les réfugiés dans un camp en Jordanie. Mais ses ennuis avec le pays hôte commencent. En 1957, il est impliqué dans la tentative de coup d'Etat contre le jeune roi Hussein de Jordanie. Il est condamné par contumace à 33 ans de prison. Il fuit en Syrie, puis au Liban. Tribune révolutionnaire La guerre des Six jours, une autre malédiction arabe, qui verra l'effondrement du nasserisme, donnera l'occasion à George de fédérer de nombreux groupes de résistants au sein du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) dont il devient le premier secrétaire général. Avocat intransigeant du nationalisme palestinien, tribun révolutionnaire enflammant ses auditoires par son charisme, Habbache avait fondé, à Damas, ce front à la fin de l'année 1967. Le parti connaîtra des problèmes. L'aile marxiste-léniniste fait scission autour de Nayef Hawatmeh qui crée le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP). Habbache devient, au fil des mois, le leader dont les masses arabes rêvaient. Il devient la bête noire des Israéliens. Au point qu'en 1973 le Mossad détourne un avion de ligne Beyrouth-Baghdad, croyant qu'il est à son bord, mais lui ne s'y trouve pas… Dans les années qui suivent, Georges montre clairement son hostilité à la politique menée par Arafat. Le FPLP quitte le Parlement national palestinien. Lors de la signature de l'accord d'Oslo en 1993, George constitue un front du refus à Damas et l'élargit aux groupes islamistes tels que le Hamas et le Jihad. Son état de santé l'oblige à quitter progressivement la scène politique. Bien qu'il refuse à titre personnel de se rendre en Palestine occupée pour ne pas légitimer l'Autorité palestinienne, le FPLP participe aux élections législatives de 2006. Habbache avait démissionné en 2000 de son poste de secrétaire général et c'est son adjoint Zibri, alias Abou Mustapha qui lui succède. Celui-ci sera assassiné par l'armée israélienne à Ramallah le 27 août 2001. Son successeur Ahmed Saâdat est emprisonné depuis 2002… Même absent de la scène, Habbache reste une des figures les plus emblématiques de la lutte palestinienne dans ce qu'elle a de plus idéaliste. Il a représenté les aspirations d'unité de la nation arabe et la résistance contre l'occupation. Pour certains, son intransigeance l'a empêché de s'adapter à la nouvelle donne. Il reste, en effet, la figure la plus marquante du refus du processus de paix. Sa détermination farouche et sa rigidité lui ont, en tous cas, valu beaucoup d'ennemis. Il n'a eu de cesse de dénoncer la coopération avec les gouvernants arabes, lançant ses fameux slogans. «La route de Tel Aviv passe par Aman et Beyrouth !» «La lutte palestinienne a besoin, pour triompher, d'un Hanoï arabe» Hanoï arabe Aussi, ne trouvera-t-il d'autres soutiens qu'en Irak et en Libye. Les pays communistes, bien qu'ils l'aient accueilli à plusieurs reprises, ne lui étaient pas non plus très favorables. Durant la crise du Golfe, il consent à se rendre à Amman pour la première fois depuis le Septembre noir de 1970 et à rencontrer son vieil ennemi, le roi Hussein. Mais il n'a rien perdu de sa véhémence ! Alors, dénonçant la coalition anti-irakienne, il déclare, notamment : «Nous avons le doigt sur la gâchette pour ouvrir le feu sur les intérêts américains et occidentaux». Le FPLP a à son actif de hauts faits d'armes. Dans son tableau de chasse, il a commandité l'attentat de l'aéroport de Tel Aviv commis en 1972 par trois kamikazes japonais (26 morts), d'avoir ordonné l'attaque contre les passagers d'El Al à Orly en 1978 (deux morts), puis l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris en 1980 (deux morts, soixante-deux blessés). Sans parler de l'assassinat de nombreux collaborateurs dont le plus connu est Zafer El Masri, maire de Naplouse en 1986. C'est une page d'histoire palestinienne qui s'est tournée samedi avec la mort de ce chef rebelle, charismatique rival de gauche de Arafat. De santé fragile, George a été victime en 1992 d'une attaque cérébrale. Il avait été accueilli et soigné en urgence en France, ce qui avait provoqué un tollé, notamment au sein de la droite française qui s'en était pris à Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères. De son exil, George n'a jamais cessé de fustiger l'impérialisme américain, source de tous les maux selon lui ! Hier encore, cet impérialisme avait bloqué une résolution du Conseil de sécurité appelant la levée du blocus imposé aux Palestiniens… Marqué par l'exode de 1948, George dira qu'il était devenu un révolutionnaire sous le traumatisme de cet exode… Il est parti sans réaliser le moindre de ses vœux. Parcours Pédiatre diplômé de l'Université de Beyrouth en 1951, George Habache avait animé en 1974 le «Front du refus» face aux pays arabes enclins à un compromis avec Israël et dénoncé l'attitude «capitularde» adoptée par la délégation palestinienne à la conférence de Madrid (1991). Le FPLP est une des trois principales composantes de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), avec le Fatah et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP). Décédé samedi en Jordanie, George Habache était le fondateur du FPLP, mouvement radical qui organisa détournements et enlèvements au nom de la lutte palestinienne. A ses yeux, la paix ne pouvait se faire au Proche-Orient avec Israël. Marié, il laisse une épouse et deux filles.