A l'invitation du représentant personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, Horst Köhler, le Front Polisario et le Maroc se retrouvent aujourd'hui à Genève face à face pour tenter de relancer les négociations pour le règlement du conflit du Sahara occidental, bloquées depuis 6 ans. Le dernier cycle de négociations directes lancé par l'ONU en mars 2007 s'était enlisé en mars 2012, le Maroc refusant de permettre au peuple sahraoui de s'autodéterminer comme le prévoit l'ONU. «Il est temps d'ouvrir un nouveau chapitre dans le processus politique», souligne la lettre d'invitation adressée en octobre dernier aux deux parties en conflit par l'ancien président allemand pour permettre la décolonisation du territoire du Sahara occidental. Cette première rencontre, à laquelle sont conviées l'Algérie et la Mauritanie en tant que pays voisins, consistera, pour reprendre le jargon diplomatique de l'ONU, en une «table ronde initiale». Autrement dit, elle se limitera à évoquer les prochaines étapes du processus de règlement onusien et dresser un bilan des développements survenus depuis l'échec des négociations de Manhasset aux Etats-Unis en 2012. La rencontre reste toutefois une étape importante dans le processus de règlement de ce conflit vieux de 43 ans, dans la mesure où elle déterminera la suite des événements. Etalée sur deux jours, cette «table ronde initiale» devra se dérouler, selon l'ONU, dans le respect des exigences des résolutions onusiennes garantissant au peuple sahraoui l'exercice de son droit à autodétermination, dont celle adoptée en avril 2018 (2414) qui avait appelé les deux partis au conflit à «reprendre les négociations, sans conditions préalables et de bonne foi». L'engagement du Front Polisario Le bureau permanent du secrétariat national du Front Polisario a, pour ce qui le concerne, réitéré cette semaine, «l'engagement de la partie sahraouie et sa volonté d'aller à la réunion de Genève de bonne foi et sans conditions préalables afin de trouver une solution juste et durable devant permettre au peuple sahraoui de s'exprimer librement sur l'avenir du Sahara occidental». La délégation sahraouie choisie pour prendre part à cette réunion comprend les membres du secrétariat national du Front Polisario, Khatri Addouh, M'hamed Khaddad et Fatma Elmehdi, respectivement président du Conseil national, chef de la délégation, responsable du Comité des relations extérieures auprès du secrétariat national et secrétaire générale de l'Union nationale des femmes sahraouies, en sus de Sidi Mohamed Omar, représentant du Front Polisario auprès des Nations unies, et Mohamed Ali Zerouali, conseiller auprès du secrétariat du Front Polisario. La partie marocaine a-t-elle la même volonté que les dirigeants du Front Polisario de parvenir à un règlement durable du conflit du Sahara occidental ? De très sérieux doutes subsistent. Et pour cause, les responsables marocains ont multiplié ces dernières semaines les déclarations à travers lesquelles ils ont dit «rejeter toute solution autre qu'une autonomie du Sahara occidental sous la souveraineté marocaine». Ce qui est déjà contraire à l'esprit de l'initiative onusienne. C'est une manière pour eux, soutiennent des observateurs, «de saborder la rencontre d'aujourd'hui avant qu'elle ne commence». Les mêmes observateurs rappellent aussi «les dernières tentatives avortées du Maroc de bilatéraliser le conflit du Sahara occidental avec l'Algérie». Manœuvres marocaines Ce n'est pas tout. Des sources onusiennes à Genève évoquent encore l'amorce par le Maroc d'une campagne visant à contester la légitimité du Front Polisario. Le Maroc, précisent ces mêmes sources, «met en avant un pseudo mouvement dirigé par Mahjoub Salek comme principal concurrent du Front Polisario». Ces informations ne sont pas dénuées de fondements puisque la délégation marocaine est composée du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, du directeur général des études et de la documentation (DGDE – service de renseignements), Mohamed Yassine Mansouri, et de deux élus sahraouis dont le transfuge Yenja El Khattat, chef de la région Dakhla occupée. Pour les spécialistes du dossier, la manœuvre marocaine ne constitue pas vraiment une surprise. Depuis le cessez-le-feu au Sahara occidental en 1991, le Maroc s'est régulièrement employé à prolonger la souffrance du peuple sahraoui et à saboter le processus du règlement du conflit sur la base des principes de la légalité internationale. La décision de Mohammed VI de dynamiter la rencontre d'aujourd'hui peut s'expliquer, ajoutent-ils, «par sa crainte de se retrouver dos au mur, surtout que la cause sahraouie a enregistré ces dernières années d'importantes avancées, marquées notamment par les verdicts de la CJUE, établissant la distinction entre le Maroc et les territoires sahraouis occupés». Il y a aussi la réduction par le Conseil de sécurité de l'ONU du mandat de la Minurso de douze à six mois afin de sortir le conflit du statu quo. Statu quo que le Maroc, indiquent-ils, veut clairement perpétuer en raison du fait qu'il l'arrange. Le Sahara occidental demeure, rappelle-t-on, la dernière colonie en Afrique occupée par le Maroc. La question sahraouie est inscrite depuis 1966 sur la liste des territoires non autonomes et est soumis au règlement 1514 du Conseil de sécurité qui comprend la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples colonisés.