Ce chef d'orchestre autrichien, né et mort à Salzbourg, était originaire d'un pays qui a donné à l'humanité les deux génies musicaux que sont Mozart et Schubert. Dans un film que diffuse France 5, La légende Karajan (1999), le documentariste Gernot Freidel s'attache à éclairer les multiples facettes de cet homme complexe dont la stature avait fortement imprégné le 20e siècle. Karajan avait été, dans sa jeunesse, un membre du parti nazi. Cette séquence de sa vie a plané comme un nuage noir sur sa carrière, même si elle n'a pas empêché Karajan d'accéder au rententissement international qu'il avait su construire par son immense talent, sa connaissance intime et passionnelle de la musique et enfin son inébranlable autorité face à des musiciens émérites. Karajan s'était imposé comme l'expert incontestable de l'art musical de Beethoven dont les partitions sont d'une architecture aux éléments tellement superposés qu'il fallait un regard particulièrement acéré pour en saisir la puissance harmonique et la restituer dans le jeu d'orchestre. Les symphonies de Beethoven atteignent à la perfection dans l'interaction entre les différents instruments d'un orchestre souvent gigantesque, car le souffle du compositeur le portait à la démesure. Mais dans le même temps, sa musique exprime des sentiments forts. Il faut dans ce sens écouter Berlioz pour comprendre à quel point Beethoven avait une maîtrise absolue de tous les instruments de musique. Berlioz était un admirateur de Beethoven et non son imitateur bien évidemment, mais on retrouve dans La symphonie fantastique, son œuvre de jeunesse, l'influence du compositeur allemand dont Berlioz savait qu'il n'était pas question de l'égaler. Beethoven était un bâtisseur de gratte-ciel et en même temps ses compositions relevaient de la mécanique de précision de l'horlogerie. La mission d'un chef d'orchestre comme Karajan était de veiller à ce que ces œuvres soient jouées dans le respect absolu des sentiments du compositeur. Cela supposait de sa part de vivre personnellement le texte musical. Les musiciens, regroupés dans un orchestre de la taille symphonique, ne peuvent pas être livrés à eux-mêmes, bien que leur rapport à l'œuvre jouée soit au moins aussi intime que celui du chef d'orchestre. Dans tous les cas de figure, il s'agit de ne pas trahir l'esprit du compositeur qui habite les œuvres exécutées. Karajan, en fait, utilisait le ressort humain dans son travail de chef d'orchestre, car au-delà de l'œuvre rendue sur la scène il y a un effort physique préliminaire inouï. Le public ne voit et n'entend l'orchestre que dans l'aboutissement de son expression. Conduire une œuvre de Bach, Beethoven ou Bartok était pour un chef d'orchestre aussi exigeant que Karajan équivalent à un acte de vie. Ce n'est donc jamais, pour un homme de cette envergure, un simple lien mécanique à la partititon jouée par l'orchestre. Cela s'entend par exemple lorsque la violoniste Anne Sophie Mutter interprète un concerto de Beethoven sous la direction de Karajan. L'idée de la vie et des sentiments conduit sur le rapport des compositeurs d'abord aux instruments. Beethoven n'a pas écrit pour le piano comme Grieg ou Tchaikowsky. Mozart n'a pu écrire, lui, son sublime concerto pour clarinette que parce qu'il connaissait à fond l'étendue des gammes de l'instrument et qu'il en jouait. Le chef d'orchestre, et certainement pas Karajan, n'est donc pas un personnage ajouté. L'histoire personnelle n'a pas d'incidence, dans ce cas de figure, sur la performance artistique qui a permis à Herbert Von Karajan d'être le grand connaisseur du répertoire musical classique et plus particulièrement encore des grands compositeurs autrichiens et allemands. Sur un autre plan, un autre chef aussi emblématique que Léonard Bernstein a été celui qui a le mieux conduit les œuvres de ses compatriotes américains, notamment celles de George Gershwin. La vie, la carrière, de tels personnages ne peut pas se résumer à une spécialisation mais au savoir-faire dont ils ont fait preuve et qui consiste en fait à bien faire son métier. Herbert von Karajan était à cet égard un grand professionnel. Il avait démontré que l'on ne s'improvise pas chef d'orchestre par un coup de baguette magique : il faut nécessairement en avoir l'étoffe.