Dans son film Moi, Hector Berlioz, diffusé sur Arte, Pierre Dupouey a un peu fait l'impasse sur ce contexte d'agitation qui verra le jeune compositeur proche par exemple d'un Alexandre Dumas. Au début des années 40, le cinéaste Christian Jacque avait mieux saisi tout le tourment qui habitait Hector Berlioz dans son admirable film La symphonie fantastique où Jean Louis Barrault interprétait le rôle du compositeur. Hector Berlioz était en effet un caractère complexe et profondément attaché à sa liberté de faire les choix que lui dictaient son cœur et sa raison. Le premier conflit majeur de son existence l'opposa à ses propres parents qui le destinaient à devenir médecin et notable de province. Lorsqu'il affirma sa volonté de renoncer à la médecine pour se consacrer à la musique, il fut renié et maudit par sa mère qui le jugea coupable d'avoir déshonoré le nom des Berlioz. Cette terrible épreuve familiale ne pouvait être tempérée que par la foi du jeune Hector Berlioz dans sa vocation. Cette vocation s'était longuement nourrie de l'admiration que témoignait Berlioz au géant de la musique universelle Ludwig van Beethoven qu'il mettait au-dessus de tout. Pourtant, le jeune Berlioz était un génie bouillonnant qui n'attendait que l'occasion d'exploser. Elle lui sera fournie par le coup de foudre qu'il éprouvera pour une jeune actrice britannique Harriet Smithson qu'il verra jouer dans une pièce de Shakespeare. La belle interprète d'Ophélie n'aura même pas vent de l'existence de ce jeune passionné qui, pour attirer son attention, va composer La symphonie fantastique. Entre 1825, année où il vit pour la première fois Harriet et 1830 où La symphonie fantastique fut jouée, Hector Berlioz resta dans la posture de l'amoureux transi en proie à la superbe indifférence de l'être adoré. Il fallait au moins ce monumental chef-d'œuvre pour forcer l'intérêt de la flamboyante actrice shakespearienne. La symphonie fantastique est une sublime partition dans laquelle Berlioz se retrouve tout entier. L'esprit de Beethoven l'a habité dans cette œuvre magistrale qui passe en revue les sentiments humains. Une œuvre si magistrale qu'elle subjugue l'immense violoniste italien Nicolo Paganini (1782-1840) qui supplie Berlioz de composer pour lui une symphonie pour violon alto. Ce sera le magnifique Harold en Italie qui sera inspiré au compositeur par le délicat poète anglais George Gord Byron (1788-1824) dont les écrits avaient accompagné sa jeunesse à Rome. La symphonie fantastique influencera l'art de la composition et on en retrouvera les accents dans Une nuit sur le mont chauve du Russe Modeste Moussorgski (1839-1881), ce qui atteste du retentissement européen de Berlioz. Le succès éclatant de La symphonie fantastique avait cependant valu au jeune compositeur l'hostilité agissante du prestigieux maître italien Luigi Cherubini (1760-1842) qui voyait en Berlioz un rival. Cherubini, déjà très âgé, était irrité par l'idée que Berlioz s'essaye aux cantates dont il était un éminent spécialiste. Berlioz, contraint d'exercer comme chroniqueur musical pour vivre, allait se tourner vers l'opéra pour traduire en musique la sensibilité philosophique de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) dont il adapte le tonitruant Faust. Berlioz compose également Roméo et Juliette d'après Shakespeare et surtout son ambitieux opéra Les Troyens qui constituera une référence absolue dans l'art de l'opéra. Il voyage beaucoup pour échapper aux critiques féroces dont il est l'objet. A Weimar, en Allemagne, il est bouleversé comme un enfant de retrouver les lieux où vécut Friedrich Schiller (1759-1805), l'immense poète allemand auquel il vouait un admiration fraternelle. Berlioz arrivait au déclin de sa vie. Harriet Smithson qu'il avait tant aimée était morte en 1859 : leur mariage s'était vite défait malgré la naissance de leur enfant Louis. Hector Berlioz entre dans une retraite forcée, se coupant délibérément du monde. Il eut le sort des novateurs : celui de n'être pas reconnu de son vivant.