Le spectacle qui s'offrait à nous était féerique. De part et d'autre de la route, la neige avait pris le dessus sur tout et à perte de vue ce n'était qu'un blanc manteau qui recouvrait le paysage. Malheureusement, les semi-remorques qui gisaient telles des épaves sur les deux côtés de la chaussée étaient là pour nous rappeler que tout n'était pas aussi « rose » avec la blancheur immaculée de la poudreuse. « J'ai fait mon chargement au port de Skikda mardi matin, et j'ai pris la route en début d'après-midi. Tout de suite, le temps a commencé à se gâter. J'ai voulu faire vite pour échapper au piège d'El Kentour, mais finalement j'y suis tombé. » Ce témoignage d'un camionneur coincé sur le « cauchemar » des routiers, les pentes d'El Kentour situées sur la RN 3 reliant Constantine à Skikda et à Annaba, illustre on ne peut mieux ce qui se passe sur cet axe depuis la nuit de lundi. Ainsi, des routiers, comme notre interlocuteur qui devait rejoindre Batna, ont été coincés sur la RN 3 et leur nombre, jeudi matin, a atteint le chiffre astronomique de 250 véhicules, tous tonnages confondus. Le pic a été atteint la nuit de mercredi, comme nous le révélera un gendarme qui essayait de convaincre les chauffeurs voulant emprunter l'axe cité plus haut de rebrousser chemin. « Les plus gros problèmes ont été vécus par les dizaines de personnes coincées dans des bus de transport en commun. Plusieurs personnes en direction du centre du pays se sont retrouvées à la merci des éléments déchaînés et ils auraient sûrement péri sans cet élan de solidarité extraordinaire des habitants de la daïra de Zighoud Youcef qui ont pris en charge toutes les personnes piégées sur le col d'El Kentour, et ce au péril de leur vie. » Il faut savoir en effet que les riverains de Zighoud Youcef ont fait plus d'une dizaine de kilomètres à pied pour aller secourir les naufragés de la neige. Et de la « matière » il y en avait car du spectacle apocalyptique de poids lourds jonchant la chaussée des deux côtés, plusieurs personnes étaient aux abois. Il y a même eu une rumeur qui soutenait qu'une femme avait accouché sur place mercredi. Finalement, il y avait effectivement une dame enceinte sur place, mais de cinq mois. A la commune de Zighoud Youcef que nous n'avons pu joindre que difficilement, une atmosphère de... fête régnait ! Les autochtones qui avaient commencé par accueillir les victimes du mauvais temps chez eux ont fini par laisser les derniers arrivés prendre place au centre de formation professionnelle du village, ne manquant visiblement de rien. Une dame de Bouira invitée involontaire des habitants de Zighoud Youcef n'en revient pas. « Nous étions coincés à bord de la voiture depuis plusieurs heures et nous commencions à avoir peur et froid. Vers minuit, nous avons eu la peur de notre vie quand quatre hommes venus d'on ne sait où ont tapoté sur la vitre du chauffeur. Ce dernier croyant avoir affaire à des terroristes refusera de baisser la vitre pour se raviser par la suite. Finalement, c'étaient des villageois qui étaient à la recherche de victimes de la tempête pour leur porter secours. Et chez ces braves gens, les mets les plus succulents nous ont été servis. C'est un geste que je n'oublierai jamais, de même que les centaines de personnes qui ont été secourues et hébergées comme moi. » Sur le col d'El Kentour, les directeurs de l'urbanisme et des travaux publics constataient sur place la détresse des personnes qui ne voulaient pas quitter les lieux de peur que leurs véhicules ne soient la proie de voleurs, malgré l'assurance des gendarmes sur place qui faisaient des rondes régulières. Après trois jours, vendredi matin, le col d'El Kentour est toujours interdit à la circulation et les semi-remorques et les bus coincés sur place depuis la nuit de mardi attendent un climat plus clément pour reprendre leur chemin. Ils n'oublieront pas de sitôt l'extraordinaire travail accompli par les éléments de la Protection civile ainsi que ceux de la gendarmerie, mais surtout cet élan de solidarité d'inconnus qui se sont révélés être des anges tombés du ciel, des anges sans lesquels il y aurait eu sûrement plusieurs morts sur la RN 3.