Si sur le flanc oriental, l'intérêt américain s'est depuis longtemps manifesté au point de matérialiser une suprématie incontestée de Washington, sur le flanc occidental, le déploiement US est plus récent. Ce qui inquiète beaucoup l'Europe latine, et a fortiori la France, c'est justement ce processus de conquête du Maghreb par l'hyperpuissance américaine qui se fait le plus souvent au détriment des intérêts du vieux continent et d'abord des intérêts français. Le partage stratégique des rôles entre l'Europe et les Etats-Unis n'exclut pas la compétition transatlantique et notamment la rivalité franco-américaine. Dans cet ordre d'idées, le projet de l'UM pourrait être interprété comme un moyen d'endiguement de l'hégémonie américaine dans une région considérée, encore aujourd'hui, comme sa zone d'influence naturelle. En dépit du rapprochement entre Nicolas Sarkozy et George Bush sur la conduite de certaines affaires mondiales, les dissonances entre les deux pays restent nombreuses pour la simple raison que leurs divergences et malentendus ont des racines profondes. Ne jouant pratiquement qu'un rôle marginal dans le processus politique au Moyen-Orient où les Etats-Unis restent maîtres, la France (et l'Europe) ne veut pas se faire distancer dans sa «chasse gardée» maghrébine. Mais tout en cherchant à participer au remodelage géopolitique du Moyen-Orient à travers notamment le règlement du conflit israélo-palestinien, Paris a comme souci majeur de sauvegarder son influence en Méditerranée occidentale. Les pays de l'Europe méridionale, à leur tête la France, sont conscients que c'est en gérant efficacement leur rapport à la Méditerranée qu'ils peuvent se poser en rivaux des Etats-Unis. Ces derniers avaient en effet profité de l'élargissement de l'UE aux PECO pour renforcer leur influence au sein de l'Europe, grâce au tropisme américain des nouveaux arrivants de l'ancien «bloc de l'Est» qui avaient souffert du totalitarisme soviétique. Mais force est de constater que l'Amérique est en train de concurrencer la France dans sa «chasse gardée», en affirmant sa mainmise sur l'économie pétrolière tant du Machrek que du Maghreb, en lançant le projet du Grand Moyen-Orient (GMO) incluant le Maghreb et en nouant des rapports de partenariat avec les pays de cette région à travers notamment les accords de libre-échange (ALE). En outre, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les impératifs de la lutte antiterroriste ont conduit à une présence américaine renforcée au Maghreb. Du coup, les pays de cette zone à risques dans la perception occidentale sont intégrés par les Américains dans leur nouveau système régional de sécurité, que ce soit par le biais du Dialogue méditerranéen de l'Otan (DMO) ou par celui du dialogue direct avec les Etats maghrébins. En somme, la France, et à travers elle l'Europe du Sud, est très inquiète face à ce projet de restructuration multidimensionnelle qui touche le monde arabe et l'espace méditerranéen. En proposant l'UM, Nicolas Sarkozy pense pouvoir contrecarrer, un tant soit peu, la percée américaine dans Mare Nostrum et redessiner son voisinage selon les intérêts des riverains de ce bassin. L'UM étant une union de projets, elle permettrait à ses membres de renforcer leur interdépendance dans des domaines concrets de coopération. Le souci de la France, en tant que promoteur de l'UM, est d'assurer sa sécurité énergétique, d'endiguer les flux migratoires, de développer la francophonie au Maghreb, de préserver et de promouvoir ses parts de marché, etc. Autant d'enjeux cruciaux qui la mettent en demeure de revoir son rapport à la Méditerranée. Afin de relever ce défi dans le contexte du déploiement américain dans la région, l'adhésion des riverains de la Méditerranée au projet sarkozyen est nécessaire. Or, celle-ci est tributaire des gains escomptés par des partenaires à niveau de développement inégal. Après avoir longtemps fait cavalier seul, suscitant des sentiments d'appréhension, voire de rejet chez ses partenaires de l'UE, Sarkozy semble préconiser une approche multilatérale en cherchant à associer le maximum de pays à son initiative. L'appui de certains pays-clés de l'arc latin (Espagne et Italie) ainsi que celui de la Commission européenne a pu être obtenu au prix d'un lobbying français remarquable. Cela s'est notamment traduit par le lancement par Nicolas Sarkozy, José Luis Rodriguez Zapatero et Romano Prodi, de l'appel de Rome pour l'union de la Méditerranée, le 20 décembre 2007. Ces derniers ont jugé utile de soutenir une initiative dans laquelle ils ont tout à gagner dans la mesure où ils peuvent négocier d'égal à égal avec le promoteur français. Mais quid des pays du Maghreb qui se trouvent dans une situation d'asymétrie par rapport à leurs «partenaires» européens? Quel gain pour le Maghreb ? La question mérite d'être posée dans la mesure où ces pays globalement déçus du processus de Barcelone, et n'arrivant toujours pas à réactiver leur projet d'union régionale (UMA), s'interrogent sur l'opportunité et la faisabilité d'un nouveau cadre de coopération s'ajoutant à tous les autres. Mais toujours est-il que l'offensive diplomatique de la France ne s'est pas fait attendre pour cibler cette région stratégique, comme l'est désormais, pour elle, toute la Méditerranée.Le Maroc tient toujours à son «statut avancé» avec l'UE C'est d'abord à partir du Maroc que cette campagne de séduction en faveur de l'UM a commencé. Le président français a présenté son projet le 23 octobre 2007 à Tanger, ville méditerranéenne chargée d'histoire, d'où il a lancé son «appel pressant et solennel à bâtir l'union de la Méditerranée». Le roi du Maroc, Mohamed VI, a réagi positivement face à ce qu'il a appelé une «initiative d'un projet visionnaire et audacieux», montrant sa détermination à explorer avec son homologue français «toutes les opportunités visant à promouvoir une approche inédite» . Cet appui marocain à l'UM ne surprend guère dans la mesure où l'amitié franco-marocaine est assez ancienne et que l'alignement français sur les thèses de Rabat, à propos du conflit du Sahara-Occidental, est une constante de la politique étrangère de l'Elysée, de Giscard d'Estaing à Nicolas Sarkozy, en passant par François Mitterrand et Jacques Chirac. En plus de ce soutien émanant de surcroît d'un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, la monarchie insiste sur l' «ambition légitime» du Maroc d'obtenir un «statut avancé» dans ses relations avec l'UE. En effet, le Maroc a toujours plaidé pour une relation exceptionnelle avec l'Europe, estimant qu'il est le plus «Européen» des pays maghrébins. Ayant même présenté sa candidature à l'adhésion à l'UE en 1987 puis en 1994, Rabat ne se satisferait sûrement pas d'une simple union de projets, si par ailleurs sa demande d'un «statut avancé» obtenait un rejet définitif. ( A suivre ) A. B. (*) Maître de conférences en Sciences politiques, université de Batna, chercheur associé au CREAD (Alger) et à l'IREMM (Aix-en-Provence) L'alliance franco-algérienne, base de la future UM ? Malgré l'importance stratégique sans cesse réaffirmée du Maroc dans l'action extérieure de la France, c'est vers l'Algérie que se dirige le choix de Sarkozy pour constituer le noyau de la future union méditerranéenne. Lors de sa visite officielle de décembre 2007 à Alger, le chef de l'Etat français a invité son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika à «bâtir l'union méditerranéenne sur l'amitié franco-algérienne (…) comme la France offrit jadis à l'Allemagne de construire l'Union de l'Europe sur l'amitié franco-allemande». Mais pourra-t-on parler dans ce cas d'un axe Paris-Alger solide et durable comme l'axe Paris-Bonn l'a été pour l'Europe des Six ou s'agit-il plutôt d'une alliance franco-algérienne éphémère sur le modèle de l'alliance franco-égyptienne qui a constitué, dans le milieu des années 1990, le socle de la politique méditerranéenne de la France ? Dans le premier cas, Alger se plairait dans un rôle d'acteur privilégié, à l'avant-garde des pays de la rive sud au sein de l'UM. Dans le deuxième cas, l'offre française pourrait être perçue comme un moyen d'amadouer l'Algérie qui ne cesse de demander des excuses officielles à son ancien colonisateur, pour les crimes commis durant la période coloniale. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'alliance franco-algérienne projetée ne pourrait ressembler ni à la locomotive franco-allemande pour des raisons évidentes d'asymétrie des puissances ni à l'alliance franco-égyptienne pour des raisons qui tiennent aux atouts de proximité géographique, culturelle et humaine dont dispose l'axe Paris-Alger par rapport à l'ancien axe Paris-Le Caire. Pour la France, l'option algérienne pour la constitution de la locomotive de l'UM n'est pas fortuite. Par sa position géographique axiale au Maghreb, ses réserves en gaz et en pétrole, sa bonne santé financière et le dynamisme de sa diplomatie, l'Algérie se présente en effet comme le pays le plus indiqué de la rive sud qui pourrait accompagner la France dans son ambition méditerranéenne, nonobstant les contentieux historiques qui les opposent. «La France est prête à voir dans l'Algérie (…) un partenaire majeur et une porte vers la Méditerranée et l'Afrique», déclarait l'ambassadeur français à Alger, Bernard Bajolet, lors de la réception organisée le 14 juillet 2007. L'Algérie va-t-elle saisir cette opportunité pour la fructifier dans le sens de ses intérêts, ceux du Maghreb et de la Méditerranée, ou va-t-elle décliner l'offre française, en s'agrippant à ses exigences de repentance comme un préalable à toute refondation des rapports bilatéraux ? A priori, Alger paraît favorable au projet d'UM après la visite de Sarkozy, mais il s'agit d'une approbation conditionnelle. «Nous sommes disposés à contribuer à sa réalisation dans la mesure où nous aurons précisé ses contours et ses objectifs», a souligné le président algérien qui pense néanmoins que sans le règlement définitif du conflit israélo-palestinien et celui du Sahara-Occidental, une union méditerranéenne ne serait que pure chimère. L'UM, une porte d'entrée dans l'espace euroméditerranéen pour la Libye ? Le processus de Barcelone demeure amputé d'un membre potentiel important, en l'occurrence la Libye. Mais pour Tripoli, la priorité est moins de rejoindre ce processus «grippé» que de sauvegarder le régime libyen longtemps mis au ban de la communauté internationale. Depuis l'année 2003, la Libye a effectué un rapprochement spectaculaire avec l'Occident, au prix de concessions considérables : indemnisation des victimes de l'attentat de Lockerbie, renonciation à son programme d'ADM, libération des infirmières bulgares accusées d'avoir inoculé le virus HIV à des enfants libyens, offre d'expertise en matière de lutte anti-terroriste, etc. Cet effort a été accueilli positivement par les Occidentaux qui se sont rués vers Tripoli pour arracher des contrats avec une puissance émergente majeure en Méditerranée. Dans le cadre de son initiative d'union méditerranéenne, Sarkozy souhaite obtenir l'adhésion de ce pays riche, solvable et en plein chantier. La visite de Sarkozy à Tripoli le 25 juillet 2007 et celle du colonel Kadhafi à Paris du 10 au 14 décembre de la même année ont déjà ouvert d'immenses chantiers de coopération (nucléaire civil, armement…). Selon le secrétaire général de la présidence française, Claude Guéant, les contrats attendus avec la Libye représentent «l'équivalent de 30 000 emplois garantis sur 5 ans pour les Français», alors que l'enveloppe d'importation de ce pays dépasse les 30 milliards de dollars, ce qui fait tourner la tête aux lobbies industriels et politiques. La Jamahiriya a souvent été sceptique et méfiante vis-à-vis des initiatives régionales proposées par les Occidentaux en Méditerranée, notamment lorsqu'elles incluent Israël. Néanmoins dans le contexte actuel et envisagée sous l'angle d'union de projets, l'UM peut être appréhendée au plan politique comme un moyen pour la Libye de poursuivre son intégration dans le concert des nations. Ce pays pourrait bien soutenir l'UM, mais à condition que les Européens (Français) lui reconnaissent le statut de puissance régionale en Afrique. Tripoli souhaiterait aussi jouer un rôle d'interface entre l'Europe et l'Afrique, d'autant que l'union méditerranéenne est appelée à être le «pivot de l'Eurafrique» et que Kadhafi, en tant que fondateur de l'Union africaine, veut être le leader du continent noir. Dans cet ordre d'idées, Seif el Islam Kadhafi a déclaré dans un entretien publié le 7 décembre 2007 sur le site web du Figaro que dans dix ans «la Libye sera le pont entre l'Europe et l'Afrique». Le pari du rapprochement avec les Etats-Unis étant réussi, la Jamahiriya semble vouloir utiliser la carte méditerranéenne pour renforcer ses relations avec les pays du vieux continent et se présenter comme un interlocuteur privilégié pour tout dialogue avec l'Afrique. En outre, en tant que pays de destination et de transit de l'immigration clandestine subsaharienne vers l'Europe, la Libye veut apparaître comme un partenaire-clé de l'Europe (et donc de la France) dans la lutte contre ce phénomène. Tripoli utilise aussi la question migratoire pour pouvoir se réarmer d'une manière soft (achat de navires, du matériel de surveillance, etc.) afin de rattraper le retard accusé durant les années d'embargo. Mais la question qui demeure posée est de savoir si la Libye sera toujours favorable au projet français d'UM qui n'exclut aucun pays méditerranéen, y compris l'Etat hébreu. Le guide libyen, qui a souvent été le chantre des opposants à toute normalisation avec l'Etat d'Israël avant un règlement juste de la cause palestinienne, dérogera-t-il à un dogme de sa politique étrangère au nom de la realpolitik qui la caractérise désormais? Aucune incidence positive sur l'UMA Sarkozy n'a point prononcé le vocable Maghreb dans ses discours sur l'union méditerranéenne. A peine en a-t-il fait allusion sous l'expression «Afrique du Nord» qui a une forte connotation coloniale. Dans l'historiographie coloniale, cet espace ne comprend ni le Sahara ni la Mauritanie et la Libye qui font partie du Grand Maghreb Arabe. Le choix des mots n'est pas neutre et ce qui importe à Sarkozy, c'est que les pays du Maghreb soient insérés dans son schéma de restructuration régionale. Quant à la construction maghrébine, c'est l'affaire des Maghrébins eux-mêmes, pourrait-on nous rétorquer. Certes, mais on ne peut occulter ni la responsabilité historique de la France dans la situation du «non-Maghreb» (colonisation, tracés des frontières…) ni son rôle actuel ambigu par rapport au conflit du Sahara-Occidental qui empoisonne les relations intermaghrébines et entrave toute tentative unitaire. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que le projet de l'UM ait une quelconque retombée positive sur la relance de l'UMA. En tant qu'union de projets bilatéraux Nord-Sud, l'UM contribuerait au contraire au renforcement des liens verticaux avec l'Europe, au détriment des rapports intra-maghrébins. S'il est vrai que le tropisme européen peut être perçu comme une caractéristique des politiques étrangères des pays maghrébins, il est non moins vrai que la politique méditerranéenne de la France a ses propres tropismes, comme le désir de maintenir cette région comme une «chasse gardée». Dans cette optique, le statu quo au Maghreb permettrait à la France de mieux réaliser ses dessins stratégiques. Projet réalisable ou énième utopie ? L'union méditerranéenne est-elle un projet de trop ? Est-elle un projet mort-né comme le jugent déjà les méditerrano-sceptiques ? Qu'est-ce qui différencie l'UM des autres cadres de coopération existants pour offrir une approche nouvelle, originale et crédible des relations entre les deux rives de la Méditerranée ? A voir les grandes lignes du projet, force est de constater que les mêmes facteurs de blocage du processus de Barcelone peuvent être décelés au niveau de l'approche de l'UM : taille de l'espace concerné, asymétrie des partenaires, crise du Proche-Orient, marginalisation de la dimension humaine et culturelle, auxquels il faut ajouter le risque de chevauchement avec les autres initiatives en cours et les non-dits du projet. Ouverte en principe à tous les Etats méditerranéens et non-méditerranéens de l'Union européenne, cette union risque de se retrouver avec autant de participants, voire davantage que le partenariat euroméditerranéen et où les spécificités des uns et des autres seront diluées dans un globalisme inefficace. Certes, la formule d'«union de projets», bâtie sur des actions concrètes, tempère quelque peu ce risque, mais la gestion d'une kyrielle de partenariats bilatéraux et asymétriques sera une géométrie difficile à maîtriser. Par ailleurs, le fait d'intégrer dans l'UM des Etats belliqueux tout en faisant l'impasse sur la Palestine occupée est en soi un facteur de division susceptible de bloquer le processus. Du coup, Israël se trouve privilégié au sein de cette union qui lui permettrait de poursuivre sa normalisation avec les pays arabes sans devoir résoudre le conflit qui l'oppose au peuple palestinien. Ainsi que l'a affirmé sans détours un diplomate israélien : «L'UM nous offre une autre occasion pour dialoguer avec des pays avec lesquels nous avons eu quelques difficultés à parler.» Les Arabes qui ont dû accepter, résignés de prendre part au côté d'Israël au processus de Barcelone, vont-ils quand même adhérer à une union méditerranéenne non débarrassée de la poudrière du Proche-Orient ? La dimension humaine et culturelle semble être, encore une fois, le parent pauvre du projet de Sarkozy. Comment en effet prétendre bâtir une union méditerranéenne digne de ce nom, tout en érigeant des frontières de plus en plus hermétiques face à la libre circulation des personnes entre les deux rives ? «Nous voulons que vous soyez avec nous, mais à condition que vous restiez chez vous», semble dire Sarkozy aux populations de la rive sud de la Mare Nostrum. Pour lutter contre l'immigration clandestine et le terrorisme, Sarkozy serait tenté de transposer dans le cadre de l'UM la politique draconienne pratiquée actuellement par l'Elysée dans ce domaine. Est-ce cela le «rêve de civilisation» auquel aspire le président français ? Une «union de projets» qui ne laisse guère de place à l'union des peuples ? Assurément ainsi conçue, l'UM nous éloignerait bien du pari de François Perroux d'une «Europe sans rivages». En outre, ce qui est redouté du projet d'UM, c'est le risque d'interférence avec les autres politiques déjà engagées en Méditerranée, malgré les assurances de Sarkozy. Comment en effet assurer une cohésion entre une multitude d'initiatives européennes (PEM, forum méditerranéen, PEV, «5+5») auxquelles il conviendrait d'ajouter des initiatives parrainées par les Etats-Unis (DMO, GMO, Einzeinstat…) Cette inflation d'initiatives régionales en Méditerranée, si elle témoigne de l'importance stratégique de cet espace tant pour les riverains que pour les Américains, elle crée en revanche pour les acteurs une vive concurrence et brouille la lisibilité au niveau des objectifs, du champ d'intervention et des moyens de mise en œuvre. Ce qui devrait inciter les membres de cette nouvelle organisation à clarifier son rapport avec les autres institutions et enceintes de coopération et de dialogue. Ainsi, les non-dits de l'UM sont très nombreux et constituent autant de sources d'hésitation pour les méditerranéo-sceptiques qui cherchent à être rassurés sur le bien-fondé de cette nouvelle initiative ainsi que sur sa valeur ajoutée par rapport au dispositif institutionnel déjà en place. Il va sans dire que pour réussir, le projet sarkozyen ne doit pas être un PEM ou une PEV-bis dans la mesure où ces politiques ont montré leurs limites. L'UM doit être plutôt une organisation originale qui tienne compte des vraies aspirations de tous les participants. Conclusion De ce qui précède, nous pouvons affirmer que le l'UM sera un nouvel instrument de leadership de la France en Méditerranée, plutôt qu'une entreprise collective où les partenaires seront égaux. Sarkozy veut bien rassurer que son projet est celui de tous les Méditerranéens, mais l'image du «cavalier seul» lui colle toujours à la peau. S'il est vrai que la formule finale de l'UM ne sera décidée que lors du sommet prévu à Paris en juillet 2008, il nous semble peu probable que Sarkozy accepte une version très remaniée de la version originale. Les sorties publiques de Sarkozy et de ses collaborateurs ont déjà montré certaines facettes du futur cadre coopératif et les discours de Toulon et de Tanger en particulier en ont jeté quelques balises. Mais l'idée gagnerait à être précisée et le caractère démocratique du projet garanti. Les arrières-pensées de l'UM sont encore très nombreuses pour ne pas céder au doute, au scepticisme, voire au rejet de cette initiative. En poursuivant à partir des années 90 une politique méditerranéenne qui s'est posée comme substitut de sa politique arabe de la France, Sarkozy veut être le disciple de ses prédécesseurs mais avec une ambition impériale plus grande. «Je veux être le Président d'une France qui engagera la Méditerranée sur la voix de sa réunification après douze siècles de division et de déchirements», a-t-il promis dans son discours de campagne en février 2007 à Toulon. Mais aujourd'hui, il s'agit pour lui de justifier toute la pertinence de son projet et de convaincre ses voisins méditerranéens comme ses partenaires européens que ce dernier sera un outil de coopération multilatéral gagnant-gagnant. Dans le contexte du foisonnement d'initiatives et de propositions de refondation de l'espace méditerranéen, allant du projet d'une union euroméditerranéeene à celui d'une union de la Méditerranée occidentale en passant par des formules intermédiaires de partenariat, Sarkozy pourra-t-il rallier tous les Méditerranéens autour de son «rêve de civilisation» ?