Les élections générales qui se déroulent aujourd'hui dans ce pays risquent en effet de donner un coup mortel à l'unité des Irakiens que la guerre imposée à ce pays a ravivé de manière inquiétante. La décision des différents groupes sunnites de boycotter ce scrutin qui devra sceller le sort de cette communauté mise en minorité par le nouveau jeu électoral de la proportionnelle intégrale en vigueur ne semble inquiéter ni le gouvernement irakien en place ni les forces de la coalition qui apparaissent plutôt bien s'accommoder de cette défection. Les sunnites, qui ont régné en maître absolu jusqu'à la chute de Saddam Hussein bien que minoritaires, devront donc se résoudre à passer la main aux chiites qui représentent près de 60% de la population. Ecartés du pouvoir, persécutés par le régime de Saddam Hussein, ces derniers pour qui l'heure de prendre une revanche sur l'histoire et leurs « ennemis » d'hier a sonné ne se sont pas fait prier pour s'impliquer dans la course électorale même s'ils ne pensent que du mal de la présence des Américains qu'ils ont eu à affronter sur le terrain dans les rudes batailles de Najaf et de Kerbala. Les Américains qui ont ficelé de bout en bout le processus politique et électoral qui devra déterminer l'avenir du pays ne semblent pas déranger la quiétude et la sérénité des chittes par rapport à ce scrutin. Ni les appels au boycottage du scrutin par les groupes sunnites, ni les menaces de la résistance et des éléments restés fidèles à Saddam, ni la menace du groupe de Abou Moussab Al Zarqaoui de transformer les bureaux de vote en cercueils ne semblent infléchir la position des Américains et du gouvernement de transition par rapport à ce scrutin dont l'issue est déjà connue à l'avance. Les élections irakiennes sont « un piège abominable, destiné à assurer aux Rafidha (appellation péjorative des chiites) le contrôle des rouages du pouvoir » en Irak et « nous avons déclaré une guerre farouche à ce processus ignoble », a menacé Al Zarqaoui dans un message diffusé sur des sites Internet islamistes. Le même communiqué fait état de « 4 millions de Rafidha qui ont été amenés d'Iran pour participer aux élections afin de réaliser leur objectif, qui consiste à contrôler la majorité des sièges à l'Assemblée » nationale transitoire. Dans un autre message le chef d'Al-Qaîda en Irak qualifie ce scrutin de « grande farce américaine ». Il menace de frapper « tous ceux qui, par leur aide ou leur assistance, s'impliquent dans ce processus ». « La Rafidha va commencer à régler leurs comptes aux sunnites en liquidant leurs symboles et cadres, dont les oulémas », a-t-il dit. « S'ils mènent leur projet avec succès, Bagdad et les régions sunnites seront dans quelques années converties au chiisme », a prédit Al Zarqaoui. L'inquiétude quant au remodelage du pouvoir et aux nouveaux rapports de force intercommunuataire, auquel devrait donner lieu ce scrutin a gagné les pays voisins de l'Irak qui suivent avec un intérêt soutenu ces élections dont les résultats ne manqueront pas d'avoir des répercussions internes dans ces pays. Hormis l'Iran qui se frotte les mains et qui ne pouvait que bénir l'intronisation des chiites au pouvoir en Irak qui permettra à Téhéran d'étendre son influence dans la région, les pays arabes voisins de l'Irak (Koweït, Arabie Saoudite, Jordanie et Syrie) ainsi que l'Egypte et la Ligue arabe, s'ils se sont résignés, sous la pression des Américains et des Irakiens, à cautionner ces élections, ne cachent pas moins leur crainte de voir ce pays basculer dans la guerre civile intercommunuataires entre sunnites et chittes. Dans une interview au Washington Post, le roi Abdellah II de Jordanie a dit tout haut ce que nombre de dirigeants arabes pensaient tout bas. « L'Iran a tout intérêt à voir s'instaurer une république islamique en Irak » qui favoriserait la création d'un « croissant » chiite allant de l'Iran jusqu'au Liban, sous l'influence de Téhéran, a-t-il estimé. Certains pays du Golfe qui ont également des communautés chiites même minoritaires à l'instar de l'Arabie Saoudite, qui se présente comme le dépositaire du courant sunnite, du Koweït redoutent la contagion chiite qui pourrait provenir de leur voisin irakien. La seule opposition déclarée au scrutin vient de l'intérieur. Depuis le lancement du processus électoral, les attaques contre les bureaux de vote se sont intensifiées tout comme les assassinats d'Irakiens engagés dans l'organisation du scrutin. Au plan international, alors que Washington se montre tout excité par ces élections qui sont qualifiées d'« historiques », l'Union européenne ne cache pas son scepticisme et son inquiétude quant aux conséquences qui pourraient en découler d'un scrutin qui laisserait à quai l'électorat chiite jetant ainsi un sérieux doute sur la légitimité des institutions qui sortiront des urnes. L'absence d'une représentation sunnite « serait une catastrophe » pour le pays, a averti le haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Javier Solana. devant la commission des Affaires étrangères du Parlement européen. « Je ne pense pas que l'Irak soit stable si les sunnites ne participent pas au processus ». L'Union européenne qui a exprimé des réserves très fermes lors de l'invasion de l'Irak n'entend pas non plus par rapport à ce scrutin faire de l'américanisme aveugle et servile en cautionnant de manière inconditionnelle le scrutin. « Tout le monde se doit de déployer tous les efforts pour que les sunnites participent à l'élaboration de la nouvelle Constitution », a souligné Javier Solana. « Toutes les sensibilités doivent participer au processus électoral en Irak. Autrement, la stabilité sera très difficile à atteindre », a-t-il poursuivi. La plupart des partis sunnites boycottent les élections. Cependant, le principal parti sunnite irakien a annoncé son intention de participer à la rédaction de la Constitution affirmant qu'il pourrait accepter d'entrer au prochain gouvernement, malgré son boycottage des élections.