Voter est un des fondements de la démocratie. Il permet à ceux qui bénéficient de ce droit de choisir leurs représentants. C'est ce que les Irakiens sont appelés à faire aujourd'hui, mais paradoxalement, la consultation à laquelle ils sont appelés à participer ne suscite guère l'enthousiasme. Non pas que les Irakiens regrettent la période passée avec ses scores qui se passent de tout commentaire, mais parce qu'ils vont entériner un fait accompli, surtout que Washington a fini par reconnaître que l'Irak de Saddam Hussein ne disposait plus d'armes de destruction massive depuis 1991, ou encore que leur vote servira clairement d'alibi à ceux qui se sont emparés de leur pays et du pouvoir. Cela s'appelle l'absence de légitimité. La communauté sunnite, quant à elle, soulève une question d'une toute autre nature liée à la détention et l'exercice du pouvoir. La violence non plus n'expliquera pas à elle seule le fort taux d'abstention qui pourrait être enregistré. C'est pourquoi constate-t-on depuis quelques semaines, ceux qui ont décidé de cette élection alternent le bon et le moins bon. C'est-à-dire qu'ils ne s'embarrassent pas de la moindre contradiction en faisant croire que l'élection sera la panacée aux problèmes actuels de l'Irak, avant de se rétracter et mettre l'absence de perspectives sur le dos de la violence que même les Irakiens n'arrivent pas à s'expliquer. Convaincue de la nature injuste et illégitime de la guerre lancée contre l'Irak par les Etats-Unis, l'ONU se montre conséquente avec elle-même. L'organisation internationale qui s'était donnée pour tâche d'aider à la préparation des élections, considère sa mission accomplie, mais demeure inquiète des conséquences possibles d'une participation qui s'annonce seulement partielle. La Mission d'assistance de l'ONU en Irak (Unami) n'a pas pour tâche de superviser, ni même d'organiser les élections, mais simplement de fournir une aide technique, selon les responsables onusiens. M. Annan insiste depuis des mois sur la nécessité que les élections connaissent la meilleure participation et se déroulent dans la plus large part du pays possible, de crainte des conséquences désastreuses d'un éventuel boycottage - ou de l'impossibilité de voter - d'une partie de la population. D'influentes organisations sunnites comme le Comité des oulémas musulmans et le Parti islamique ont décidé de boycotter ce scrutin. Après les élections, la question de l'intégration dans la vie politique des Irakiens qui n'y auront pas participé sera du ressort des nouvelles autorités irakiennes, a estimé M. Annan. « Le nouveau gouvernement devra déterminer s'il doit prendre des mesures spéciales pour assurer que la voix de chaque Irakien soit prise en compte dans la préparation de la Constitution et dans les phases suivantes », a-t-il dit. En refusant pour quelque motif que ce soit de participer aux élections, les provinces sunnites portent justement atteinte à la légitimité de la future Assemblée et entendent garder les mains libres pour poursuivre ses actions, estiment des experts. Même l'Administration américaine reconnaît l'influence sur le scrutin d'une résistance qui peut compter semble-t-il, sur plus de 200 000 combattants et sympathisants, selon les estimations d'un chef de renseignements irakien. « Le problème n'est pas l'exclusion de 20% des électeurs, mais de 20% qui appartiennent à la même communauté : les sunnites », note un spécialiste. Saâdoun Al Doulaymi, président du Centre irakien pour les études et les recherches stratégiques, reproche aux autorités de représenter les élections comme le début de la fin des problèmes en Irak. « Nous avions pensé que le 30 juin (2004) serait une baguette magique pour régler nos problèmes », dit-il, en référence à la date choisie pour le transfert de la souveraineté aux Irakiens. « Mais les problèmes ont empiré. Maintenant, les élections sont présentées comme cette baguette magique. Si les problèmes ne sont pas vraiment réglés, la violence redoublera », estime-t-il. Selon lui, l'idée proposée de nommer des représentants sunnites à l'Assemblée au lieu de les élire, puisque la majorité d'entre eux a décidé de boycotter le scrutin, va donner une nouvelle raison aux résistants de s'activer. Pour un expert international proche du dossier irakien, les menaces contre le scrutin ne sont qu'un moyen de plus pour les rebelles d'alimenter leur campagne de violence. « L'insurrection est lancée, les élections ne la changeront pas », dit-il sous le couvert de l'anonymat. Et si l'on appelait les choses par leur nom, on constatera que la résistance c'est bien plus que ne veulent révéler les responsables militaires de la coalition. Et il est vrai à cet égard que les Américains entendent quitter ce bourbier mais pas avant d'avoir mis en place les éléments de la relève. Ou ce que certains considèrent ceux de l'irakisation. Ce qui rapproche davantage le spectre de la guerre civile, voire de la partition de l'Irak. Une bien dangereuse perspective qui fait peur, y compris aux autres pays de la région.