Le peintre Ernest Pignon-Ernest, tout à sa colère, refait le parcours de Maurice Audin à El Biar en 2007. La vie de Maurice Audin est passée dans la postérité de l'histoire par et dans les mains de Jean-Jacques Lebel, de Lapoujade, de Mohammed Khadda… L'homme Audin est devenu une histoire humaine, une présence se déclinant à tous les présents et dans le temps universel. Art et histoire se fécondent l'un l'autre dans la volupté des beautés et aussi dans l'effroi des outrages que l'homme subit. Les Casbahs ne s'assiègent pas, proclame Khadda dans une magnifique marine de 1962, entre cité lacustre et fortification saharienne. Elle est inexpugnable, même si le peintre Mesli la voit en 1961 en flammes et capture sur la toile cette image de feu, de cendre et de matière en convulsion volcanique. Kateb Yacine disait à Jacques Berque à Tunis en 1961: «La Casbah, force de souffrance qui fait agir les militants à partir des lieux de leur enfance, souvent pour défendre un réduit sans issue. Ali la Pointe et tous les condamnés sont des enfants du polygone.» L'histoire n'est pas seulement écrite, elle est représentée, et ceux qui l'ont représentée dans la toile, le papier, le collage, ne vivaient pas dans la neutralité du monde. Si Jeanson, Barrat, Mandouze, Vidal-Naquet, Sartre, l'abbé Davezies sont reconnus par l'historien, qu'en est-il de Tazlitsky, Kijno, Lebel, Cherkaoui, Matta, Masson, Erro, Jouffroy, Lapoujade, Cremonini, Crippa… et d'autres encore ? Le Manifeste des 121 est un grand événement, aussi puissant que le J'accuse de Zola. Chaque découverte d'une œuvre qui fait résonance avec cette exposition est une révélation. Dans le double sens du terme : optique et esthétique. Un damier d'œuvres apparemment closes chacune sur elle-même. En réalité, un lien invisible les unit. C'est au spectateur à le nouer et à le dénouer. Ce lien est à la fois dans l'Histoire et dans l'imaginaire de celui qui regarde. L'histoire devient visible. Elle bouge. A chaque visite, elle se métamorphose et lui parle dans son langage du silence. Le regard s'étonne devant les formes, leurs couleurs, leurs mystères, leurs anamorphoses. C'est à une Internationale des peintres engagés auprès du peuple algérien en guerre que l'exposition invite, et à des retrouvailles 50 ans après. Cette extraordinaire reconstitution de «Ligue dissoute» se retrouve en 2008 au nouveau Musée d'Art Moderne et Contemporain d'Alger. Ce faisant, s'opère un «rattrapage» de l'Histoire. Les dizaines d'œuvres venues à Alger retrouveront celles qui les avaient précédées en 1964 et feront belle alliance avec celles de Khadda, Mesli, Issiakhem… et surtout se montreront à des hommes et à des femmes qui n'ont pas connu ces temps et verront que leur pays était au cœur et à l'esprit d'artistes de grand talent et d'immense générosité. Ils verront que l'Algérie et son combat étaient au cœur du monde ; un acte de liberté universelle, un prestige humaniste et une espérance. Ces œuvres sont en résonance avec la guerre, mais n'appartiennent pas à un temps et à un espace clos. Elles débordent en amont et en aval les datations conventionnelles. *NDLR : ce texte est tiré du catalogue de l'exposition. Signalons que six œuvres ont été encore offertes à l'Algérie, à l'occasion de la présente exposition au Mama.