La rencontre « Les médias algériens : question d'économie et de service public », organisée jeudi à Canastel par l'Association des amis de Abdelhamid Benzine, représentée par Belkacem Mostefaoui, université d'Alger, en collaboration avec l'IDRH, dirigé par Mohamed Bahloul, et Moussa Mediene, ancien journaliste de l'APS, a permis de soulever des questionnements sur le devenir des médias algériens en général et de la presse écrite en particulier. Un devenir qui s'interroge autant sur les évolutions techniques que sur le rôle des acteurs eux-mêmes, notamment les éditeurs et les journalistes dont les intérêts peuvent diverger concernant les questions d'ordre social (salaires, conditions de travail, etc.) mais qui convergent sur la nécessité de défendre la liberté de la presse. Dans son intervention d'ouverture, le directeur de l'IDRH a mis l'accent sur l'économie de la production de l'information insérée dans la notion de service public. Il considère que la presse indépendante a atteint sa phase de maturation pour mettre en avant la nécessité d'adopter les règles de management et de bonne gouvernance pour mieux évoluer et survivre dans un environnement concurrentiel et compétitif. Partisan de l'économie de marché, il insiste sur la notion de pouvoir d'opinion qui doit accompagner l'ancrage du pluralisme médiatique. « Il n'y a pas de bureaucratie qui gère l'algérianité. » Cette phrase de Belkacem Mostefaoui résume l'objectif de l'association qui œuvre à « ne pas rester dans le négativisme et promouvoir, par le biais de la réflexion, les valeurs symboliques qui continuent de vivre à travers les médias ». Esprit de prédation Quant à son intervention dans le cadre de la journée d'étude, il devait la consacrer à « la logique économique de la programmation à l'ENTV ». Il fait ressortir l'idée d'une « privatisation de l'intérieur » de la télévision algérienne soumise au mimétisme des chaînes commerciales et à une certaine influence des gros annonceurs qui freinent l'émergence d'un produit audiovisuel qualitatif, original et authentique répondant aux attentes du public. Sans omettre de signaler l'aspect propagandiste privilégié par le pouvoir et son évolution depuis 1962, il remarque qu'entre 1991 et 2005, la part de la publicité dans le budget est passée de 6% à 46%. En contrepartie, le taux de la subvention de l'Etat dans le même budget a chuté de 73 à 35% durant la même période. Pour lui, le néolibéralisme préconisé a eu pour incidence un « affermage » et fait naître un esprit de prédation qui a déteint sur le patrimoine, la production du sens et, enfin, sur le droit même à la citoyenneté. « Les liaisons douteuses » entre annonceurs publicitaires, qui sont en général des bureaux de représentation de grands groupes étrangers, et certains journaux sont le souci exprimé par Belkacem Ahcène Djaballah, université d'Alger, qui a aussi évoqué l'infiltration des journaux indépendants, créés au départ par des coopératives de journalistes avec comme mission d'informer et d'éduquer, par des affairistes qui allaient prendre de plus en plus d'influence et même d'en créer de nouveaux. Pour lui, « cet accaparement engendre de grands perdants que sont la liberté d'expression et le service public ». La manne publicitaire est évaluée à 1500 milliards de centimes, dont 35,1% vont à la presse écrite – 93% pour les quotidiens, 4,6% pour les magazines et 1,8% pour les hebdomadaires). L'Etat exerce sa tutelle De manière générale, toujours en termes d'argent, la téléphonie occupe 38% du champ publicitaire contre 28% pour les produits alimentaires et seulement 8% pour l'automobile. La tutelle étatique sur la presse s'exerce aussi par le biais de l'imprimerie et c'est le sujet développé par Ahmed Ancer d'El Watan, le titre qui avec El Khabar (projet commun) puis un peu plus tard Le Quotidien d'Oran se sont dotés de leurs propres rotatives pour échapper au contrôle du gouvernement sur les publications. Il rappellera que dès le début des années 1990, des tentatives d'introduire des imprimeries de presse ont été bloquées de manière parfois inédite comme la rotative égarée au port d'Alger, mais dont le fait n'a pas été médiatisé à l'époque, selon les volontés du concerné. « Le financement par les imprimeries des titres de la presse publique a été étendu dès 1995 à des titres privés, contribuant même à en créer de nouveaux à condition qu'ils montrent de bonnes dispositions envers le pouvoir », relève-t-il pour avancer l'idée d'une « économie de surveillance » où sont dépensées d'énormes sommes d'argent qui auraient pu servir à ouvrir des écoles de journalisme fonctionnelles. Pourtant, une bonne partie de son intervention, sous forme de prospective, prévoit la disparition des imprimeries et même le journal tel qu'il est conçu aujourd'hui au profit des supports numériques. Les chiffres enregistrés dans les pays développés comme les Etats-Unis et le Japon, en termes de connexion à internet à très haut débit accessible au public et les avancées technologiques réalisées rendent, pour lui, cet avenir imminent. Maâzouz Rzigui, université d'Oran, a développé les volontés théoriques des aides de l'Etat au développement de la diffusion de la presse, à la promotion du pluralisme médiatique, mais s'est interrogé sur le fait que les mécanismes mis en place n'ont pas mené cette mission à terme. Selon lui, l'application était problématique et les dispositifs mis en place ont fonctionné en dents de scie. Il constate cependant le manque de données fiables pour déterminer avec exactitude une nomenclature des dépenses prévues par le fonds. Sid Ahmed Benziane, journaliste consultant, a traité du journalisme santé et ses implications sur la prise en charge des maladies chroniques en touchant du doigt le manque de revues spécialisées, notamment dans les sciences et techniques de manière générale ainsi que la tendance à la marchandisation. Les professionnels de la presse sont le souci de Brahim Brahimi, université d'Alger, qui est intervenu sur le statut des journalistes et la convention collective. Il préconise une approche moderne du droit à l'information axée sur les principes et la définition des critères. Mobilisation des journalistes Historiquement, il se basera sur le texte élaboré par les syndicats des journalistes français en 1971 et les deux textes algériens promulgués, l'un en 1968 (décret Benyahia) et l'autre en 1973 (circulaire Ahmed Taleb). Ce texte est, selon lui, complet et ne demande qu'à être réactualisé. Il préconise la participation des journalistes à l'orientation politique et cite l'expérience de l'hebdomadaire Algérie Actualité qui, sous Rédha Malek, a changé de contenu et a vu ses tirages exploser à 150 000 et 200 000 exemplaires à l'époque. L'expérience allemande qui date de 1998 intègre les éditeurs dans le conseil de l'éthique et il explique cet avantage par le fait que lorsqu'une décision est prise, on a la garantie qu'elle est répercutée à l'intérieur des journaux. En Algérie, le conseil de l'éthique a été un échec mais le statut des journalistes a fini par être finalisé le 10 mai 2008. Le document a été adopté après 6 réunions avec le ministère de tutelle, même si, déplore-t-il, il ne répond pas tout à fait à ce qui a été voulu au départ, mais il contient un minimum d'avantages. « Le statut est juste un début et ne règle pas tout les problèmes, mais il reste à élaborer la convention collective qui n'existe pas en ce moment malgré l'expérience d'Enasr qui a adopté en 1998 une convention interne, reprise par Liberté entre 2001 et 2003 ». L'idée est qu'« il faut à tout prix que les journalistes se mobilisent ».