Le rêve des années 1970 était peut-être trop beau pour être vrai. Dans son ardeur « révolutionnaire », le président Boumediene avait lancé le plan de « rééquilibre régional ». L'idée consistait à planter des complexes industriels dans chaque région du pays. « Dans les années 1970, c'est le pays qui a le plus investi. Mais lorsqu'on achète une machine, on n'achète pas forcément un développement », estime Michel Broz, l'un des responsables qui ont piloté l'étude sur l'industrie algérienne du cabinet britannique Booz et Allen.Les années passèrent. Endettée, l'Algérie a dû passer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international (FMI). Peu à peu, les suppressions des sureffectifs sous la forme de départs volontaires ont fini par vider les entreprises d'une main-d'œuvre qualifiée. Puis les fonds à même de permettre aux entreprises de lancer leurs programmes de mise à niveau n'ont plus suffi. Le financement des entreprises publiques par le Trésor public était de l'ordre de 800 milliards de dinars, dont 600 milliards dépensés entre 1991 et 1996. Les restructurations ont coûté cher (21 milliards de dollars selon l'étude Booz Allen) avec des effets sociaux ayant entraîné des pertes du savoir-faire industriel (400 000 emplois selon l'UGTA). Cela a eu pour conséquence une désindustrialisation avancée (moins de 7% du PIB) y compris dans le secteur privé, où sur un potentiel de production de 15%, seulement 45% sont utilisés. Le plan d'ajustement structurel n'a pas porté ses fruits. Le privé algérien n'a pas réussi à s'imposer. Seulement, alors que l'ouverture brutale et sans transition du marché asphyxiait les entreprises, les gouvernants affirmaient qu'il fallait attendre que le marché « se restructure de lui-même ». Lors des assises tenues en juillet 1995 sur « la stratégie industrielle » (sic), le ministre de la Restructuration industrielle de l'époque, Abdelatif Benachenhou, avait déclaré : « C'est au marché de décider si une entreprises doit rester dans le circuit ou disparaître. » Du coup, la majorité des entreprises publiques ont disparu. M. Benachenou avait estimé aussi : « On a confondu industrialisation et acquisition d'outils de production. » Dans les années 2000, le découvert bancaire des entreprises publiques a atteint les 42,2 milliards de dollars. Après une décennie de réformes, le président Bouteflika décide d'entamer une « stratégie industrielle ». Qu'en est-il ? Le constat est cinglant : le désengagement de l'Etat n'est pas achevé. Les privatisations n'ont pas abouti. La part du secteur industriel dans le PIB se rétrécit chaque année de 3%. Il y a une régression du chiffre d'affaires, de l'emploi et de la part de marché des entreprises publiques. L'industrie est devenue le parent pauvre de la croissance. Les entreprises n'ont pas tiré profit du programme de relance du premier quinquennat du président Bouteflika. Les intervenants se sont rendu compte que l'investissement direct étranger (IDE) n'était pas la panacée. En plus de leur frilosité à investir en Algérie, il est rare que les entreprises étrangères sous-traitent avec les entreprises algériennes. Elles recourent généralement à l'importation des produits industriels étrangers. Les experts réunis au Palais des nations pour définir une stratégie à même, selon l'intitulé des assises, de « réveiller un géant », ont décidé de la création de « pôles de compétitivité », de combattre vigoureusement les déréglements observés dans la pratique du commerce extérieur et l'encouragement du secteur privé algérien à travers des mesures incitatives. Cependant, ces recommandations semblent aujourd'hui être passées aux oubliettes. Dans une rencontre entre le gouvernement et les walis, le président Bouteflika a déclaré qu'il était « trop facile de dire que nos complexes construits au prix fort dans les années 1970, c'est de la quincaillerie bonne pour la casse ». Vingt ans après les restructurations et le plan d'ajustement, il n'y a pas de politique claire pour l'industrie algérienne.