Il est 15h30 en cette journée de lundi, à la veille du Ramadhan. Le boulevard Amirouche, à Alger, grouille de monde. Les automobilistes s'impatientent. Un bus bondé de passagers, assurant la ligne place des Martyrs-place du 1erMai, est paralysé depuis déjà dix minutes. Subitement, une Renault blanche, conduite par un jeune âgé de 17 ans, sort de la file pour foncer droit sur le commissariat central. Avant même que les policiers en faction ne comprennent ce qui se passe, un bruit assourdissant fait trembler les immeubles du quartier et voler en éclats les vitres. D'immenses flammes s'élèvent vers le ciel et transforment les lieux en un véritable brasier. Premier bilan : 38 personnes tuées et 256 autres blessées. Second bilan : 40 morts et 286 blessés, dont 55 dans un état jugé critique. C'était il y a dix ans, le 30 janvier 1995. Des voitures calcinées, du sang partout et un grand feu sur le trottoir du commissariat. Des cris de douleur, des sanglots, des gémissements... La fumée noire et l'odeur de chair brûlée s'échappent du bus carbonisé de l'Etusa. Le feu emporte l'ensemble des passagers. Des scènes d'horreur qui marquent les mémoires, comme l'image de cette femme blessée, allongée sur un lit d'hôpital, qui lançait en pleurs au président de la République Liamine Zeroual venu s'enquérir de l'état des victimes de cet attentat : « Monsieur le Président, faites quelque chose. » Ne s'attendant pas à une telle interpellation, le Président répond : « Nous sommes conscients de la gravité de la situation et nous ferons le maximum. » Quelques heures plus tard, Anouar Haddam, de son exil aux Etats-Unis, revendique l'attentat, regrettant néanmoins le passage du bus de l'Etusa au moment de l'explosion. L'année 1995 a été marquée par les assassinats de nombreux intellectuels, revendiqués en grande partie par les Groupes islamistes armés (GIA) à partir de Londres. Ainsi, 48 heures seulement après la tuerie du boulevard Amirouche, soit le premier jour du Ramadhan, la voix des sourds-muets, Nacer Ouali, père de quatre enfants, tombe sous les balles assassines du GIA à Sidi Moussa, aux environs d'Alger. Le 5 février, Djamel Fezzaz échappe à un attentat à Bab El Oued, alors qu'un ancien directeur de l'école polytechnique d'El Harrach (EPAU) Ali Mansouri est criblé de balles à El Harrach. Le 11 février, Mme Ouraïs Menni, enseignante à l'école Sainte Famille, à El Biar, est assassinée à l'entrée de l'établissement par un jeune de 20 ans. Le 14 février, alors qu'il venait à peine d'être nommé à la tête du Théâtre national d'Alger (TNA), Azzeddine Medjoubi est tué à bout portant par un jeune qui l'attendait, à 13h20, à la sortie du théâtre. Le même jour, le président de l'Union générale des étudiants (Ugel), Abdelhafid Saïd, est assassiné. Le 15 février, Nabila Djahine, architecte et présidente de l'association Thighri n'Tmetout, est tuée par des terroristes en plein centre de Tizi Ouzou. Le lendemain, le musicien producteur de clips Rachid Baba est assassiné à Oran et le 26 février Mme Khadidja Aïssa, professeur à l'Institut agronomique (INA), subit le même sort à El Harrach. Le 20 mars, la journaliste Rachida Hammadi et sa sœur Houria sont otages de tirs croisés d'un groupe de terroristes devant chez elles à Chevalley (Alger). L'une des sœurs meurt sur place et l'autre succombe à ses blessures quelques jours plus tard. Le 21 mars, le journaliste Ali Boukerbache est tué à Dergana. Le 28 mars, c'est le directeur d'El Moudjahid, Mohamed Abderrahmani, qui subit le même sort. Le 4 avril, Makhlouf Boukhzer, un autre confrère, est assassiné à Constantine, suivi de Malika Sabour, journaliste à Echourouk, tuée le 21 mai. Deux jours plus tard, Bakhti Benaouda tombe sous les balles assassines du GIA à Oran. Le 8 août, le corps criblé de balles de la journaliste Naïma Hamouda est retrouvé à Saoula, et le 17 août, c'est son collègue Ameur Ouaguenni du Matin qui succombe à ses blessures par balles. Le 4 septembre, Saïd Tazrout, chef du bureau du journal Le Matin à Tizi Ouzou, est tué dans sa ville. Le même jour, le caricaturiste Brahim Gueroui est enlevé par des terroristes de son domicile à Boufarik, puis assassiné, alors que Yasmina Brikh, une autre journaliste, est tuée dans le quartier des Eucalyptus. Le 9 septembre, Saïd Brahim et son épouse Radja sont tués dans une embuscade tendue par un groupe armé. Le 28 septembre, Aboubakr Belkaïd tombe sous les balles assassines du GIA au square Port Saïd, à Alger. Le 3 octobre, Omar Ouartilane, rédacteur en chef du journal El Khabar, est exécuté par des individus armés à quelques dizaines de mètres seulement de la maison de la presse Tahar Djaout, et Saâdaoui Abdelwahab, directeur commercial d'El Chaâb, est retrouvé criblé de balles le 15 octobre à Chlef. Le 17 octobre, Saïda Djebaïli, journaliste, et Mustapha Lazhari sont tués à Saïda. Le 2 décembre, Hamid Mahiout, journaliste, et son chauffeur Benkhelfellah sont affreusement torturés, puis tués par le GIA sur les hauteurs de Raïs Hamidou. Le 5 décembre, Khadidja Dahmani, journaliste, est assassinée à Baraki, alors que Mohamed Belkacem, réalisateur, et son technicien Mouloud Khaled sont tués aux Eucalyptus.