Vous aurez de la peine à imaginer comme elle était belle quand vous passez devant aujourd'hui», se souvient Noureddine, 35 ans, commerçant.Le cinéma l'Afrique a fermé ses portes à la fin des années 80. Il est toujours en travaux depuis. Le riverain confie avec émotion : «C'est une grande perte. J'ai les larmes aux yeux quand je vois l'état auquel est réduit ce monument. Il n'y a pas un cinéma de la capitale dans lequel je ne suis pas entré. J'y allais tout le temps quand j'étais petit, en grandissant les salles ont été fermées l'une après l'autre.» Un peu plus loin sur le plateau Ferhat Boussad, le Sierra Maestra se bat avec ses fantômes. «La salle a connu un impondérable, l'entrepreneur a ramené des sièges qui ne sont pas conformes à nos exigences. Malgré le retard qu'il nous a occasionné, nous avons tenu à ce qu'il en ramène d'autres plus conformes à nos souhaits. Un délai lui a été ainsi accordé et son fournisseur, installé en France, le munira d'un autre produit», expliquait M. Bourouina, P/APC de la commune de Sidi M'hamed en juin 2007. La salle attend toujours ses fauteuils. Puis, nos pas glissent vers la place du 1er Mai et nous nous engageons dans la rue Mohamed Belouizdad. Le local du Mondial a été vendu et transformé en supérette. L'établissement est méconnaissable. Personne ne pourrait croire qu'il fut un temps où cet espace abritait une salle de cinéma. Là, Hocine, 55 ans, photographe et ancien habitant à 1er Mai rappelle la programmation des cinémas dans les années soixante à soixante-dix. Le Mondial projetait surtout les films français comme ceux de la nouvelle vague ou d'autres avec des acteurs comme Jacques Brel ou Lino Ventura. Plus loin sur le trottoir de droite, le Caméra, vétuste depuis le tremblement de terre en 2003, a été rasé. Des murs nus et un portail vert cachent des plantes sauvages. Des cartons s'amoncellent sur le sol que foulaient les cinéphiles des années auparavant. «Le Caméra aura d'autres vocations, en plus de celle de projeter des films. Un centre de proximité, un théâtre pour enfants et une salle pour la formation professionnelle y verront le jour», affirmait pourtant l'élu il y a de cela un an. Le Caméra s'était spécialisé dans le western spaghetti avec la série Santana et les péplums de Machiste contre le reste du monde. Plus loin au Musset, les films de Hercule et ses travaux, Thésée et le Minotaure entraînaient les spectateurs dans les dédales de la mythologie grecque. A la sortie de la séance, nous allions dévorer un morceau de «garantita», saupoudré de gros sel et de cumin, à la boulangerie mitoyenne de Mme Ferra. Assis près des ruines du cinéma Musset avec ses amis du quartier, Ahmed Haddanou, 84 ans, dénonce : «De la place du 1er Mai jusqu'au Ruisseau, il n'y a plus aucune salle de cinéma fonctionnelle de nos jours». Il témoigne : «C'est une honte de délaisser un quartier populaire, bastion de la révolution !» Même sort … Sur le même trottoir, Le Roxy était le plus grand. Il avait fait la gloire de La bataille d'Alger de Pontecorvo et de Abi fouk Sadjara, un film musical, avec un ravissant répertoire du crooner égyptien Abdelhalim Hafez. Mais surtout il a fait découvrir au peuple de Belcourt les westerns de Sergio Leone, alors qu'ils n'étaient pas les classiques qu'ils sont devenus. «On ressortait du Roxy avec la musique d'Ennio Morricone plein la tête et les bras détachés du corps, prêt à dégainer. Alors la gorge sèche après avoir traversé tant d'épreuves avec Clint Eastwood, on allait chez ammi Aïssa prendre un verre de «créponé», une glace au citron frais, pour se désaltérer à l'ombre des mûriers qui donnent leur nom à la rue», regrette Hocine. A quelques pas de là, en face du cimetière de Sidi M'hamed, Le Select était le moins cher et avait pour spécialité les films hindous. Le film culte Mangala fille des Indes avait depuis longtemps laissé place aux nouveaux dieux du cinéma, Raj Kapur, Delib Kimar. Le quartier était divisé en deux et la salle de cinéma aussi : les partisans du bon et ceux du bandit. Les spectateurs armés de derboukas, supportaient leur héros, le prévenant de l'arrivée en traître de son ennemi, et l'encourageant à donner les coups et à en éviter. En 2005, un programme de réaménagement des salles de cinéma a été lancé. Les salles concernées étaient le Musset, Sierra Maestra, l'Afrique et le Caméra. Les chantiers avaient démarré. En 2008, triste constat : toutes ces salles ne sont toujours pas opérationnelles. Les lieux semblent laisseés à l'abandon. L'année passée, le P/APC annonçait : «Nous mettons en place un établissement public à caractère insdustriel et commercial, EPIC, qui sera doté d'un conseil d'orientation composé de spécialistes.» N'était-ce qu'un effet d'annonce ? Si EPIC il y a, le changement n'est pas probant. Hocine s'interroge et déplore : «N'y a-t-il pas de la place pour rêver d'espace de divertissement moderne qui soit aussi un cadre de transactions culturelles entre les habitants de la cité ? Ne peut-on pas mettre à profit les nouvelles technologies pour offrir un cinéma de haute qualité d'image et de son ? De grandes salles de cinéma et de spectacles, propres, aérées, confortables qui seront le lieu où se tisseront les liens mémoriels de demain ? Seraient-elles trop bien ou trop chères pour les jeunes, Monsieur le maire ?» Aujourd'hui, il n'y a plus de cinéma ou plutôt le far-west est dans la rue, le western couscous a remplacé le spaghetti et il est bien plus funeste.