La nouvelle pièce du Théâtre régional de Béjaïa (TRB) a beaucoup d'arguments pour émouvoir et séduire. Emouvoir déjà par la seule évocation de Tahar Djaout et par la seule volonté de lui rendre hommage. Mais le travail de mise en exploitation scénique de Les Vigiles a pu aller au-delà : restituer sur les planches la substance de l'œuvre en la faisant porter par une combinaison assez inspirée des effets dramatiques. La générale de la pièce, adaptée et montée par Omar Fetmouche, le directeur du TRB, a été présentée jeudi dernier en soirée à la Maison de la culture de Béjaïa. Une salle pas du tout adaptée au théâtre et où l'on a effectué des aménagements peu évidents pour un tant soit peu mettre en présence les conditions physiques et techniques de la représentation, même si les planches improvisées ont trop visiblement manqué de profondeur, des supports d'éclairages plantés entre les travées et des techniciens du son installés parmi les spectateurs. Autant de conditions qui font le cauchemar des gens du théâtre et, qui jeudi dernier, n'ont paru gêner que les initiés, puisque le public s'est largement enthousiasmé du spectacle qui lui a été proposé. Beaucoup de mouvements sur scène, de l'énergie, du chant, l'insertion de digressions vidéos et un décor (un tantinet envahissant par moment) se tramant exclusivement sur la métaphore du métier à tisser et s'adaptant sans trop de hiatus au situations de jeux. Il y a surtout un travail de composition musicale où, une nouvelle fois, a excellé l'inévitable Bazou, et une scénographie qui a brillé par une esthétique qui tranche beaucoup avec le dépouillement et la sobriété souvent servis au public. L'adaptation, faite en arabe dialectal et se limitant visiblement à reprendre au premier degré le contenu du roman, n'a pas eu à solliciter une grande dépense de jeux des comédiens, hormis la charge particulière qui a échu au rôle du personnage principal, l'inventeur Mahfoudh Lemdjed, campé très correctement par le jeune Farid Cherchari. Les personnages, maintenus souvent à l'échelle de la réplique ordinaire, donneront l'air parfois d'être écrasés par l'ambition lyrique d'un autre segment de la mise en scène. Celle-ci s'est organisée en deux moments de représentation parallèles, deux tons à résonances différentes puisqu'à côté de la structuration dramatique, il y a l'invocation cyclique de l'écrivain, à travers la lecture, confiée à une fillette (qui, pour le symbole, se prénomme Kenza, du prénom de la fille de l'écrivain, immortalisée par une fameuse chanson de Matoub) et de quelques fragments du roman de Djaout ; deux temps scéniques qui, finalement, se rencontreront juste avant la tombée de rideau, lorsque la fillette séraphique interpellera Mnouar Ziada, un personnage voué à l'assassinat, pour lui demander de ne pas la laisser seule. Un moment fort qui tire un peu facilement sur la corde de l'émotion, puisque s'ensuit un défilement vidéo des images des intellectuels et journalistes assassinés dans les années 1990. Les Vigiles, ou El Hourras dans sa version adaptée, est un bon moment de théâtre qui, en plus de sa qualité, rend un hommage émouvant à celui qui, de son vivant, a pourfendu les impostures et a été assassiné pour s'être revendiqué de « la famille qui avance ».