La cour d'appel de Paris vient de débouter douze anciens militaires qui entendaient se faire reconnaître comme victimes des essais nucléaires français. Cette décision de justice s'est fondée sur l'appréciation que les dossiers des plaignants étaient trop anciens. Implicitement, c'est une manière de prescription qui pèse sur les faits. Si l'arrêt de la cour d'appel de Paris devait faire jurisprudence, cela devrait d'abord dire que les actions en cours engagées notamment par les victimes des expériences atomiques françaises dans le Sahara algérien et la Polynésie pourraient ne pas aboutir. C'est un sujet qui fâche autant que l'évocation des mines antipersonnel disséminées sur le territoire algérien par l'armée coloniale française et, à une échelle politique, de la repentance. Un demi-siècle plus tard, la France officielle reste dans le déni sur cette question comme sur les massacres perpétrés en 132 ans de présence coloniale en Algérie, dont ceux du 8 mai 1945. Les victimes des essais nucléaires, autant que celles des mines antipersonnel, sont-elles en droit de réclamer des indemnisations, même a posteriori ? A l'évidence non, et au-delà des dossiers personnels ou collectifs, c'est un rapport à l'histoire qui continue d'être occulté. Il est plus commode de plaider pour un oubli consenti de part et d'autre comme semblent le faire les tenants d'une mémoire aseptisée. Ce sont ceux-là mêmes qui ont plaidé pour que soit minimisé le rôle de l'Occident dans l'esclavage, l'extermination des peuples indiens des Amériques et le colonialisme imposé aux peuples d'Afrique et d'Asie. Ainsi, les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki, de Reggane et de Mururoa ne devraient avoir aujourd'hui que valeur anecdotique. Dans le même temps, toute une littérature se plaît à rappeler, avec un sentiment d'épouvante rétrospectif, que Paris a failli brûler pendant la Seconde Guerre mondiale. On voit tout de suite la disproportion dans le traitement des faits d'histoire. Qui demandera réparation pour les irradiés, les handicapés des champs de mines et les traumatisés de la violence coloniale. Certes, les indépendances ont peu ou prou contribué à tourner la page mais sans diluer pour autant une posture de domination encore à l'œuvre chez les anciennes puissances coloniales. L'épisode des douze militaires français déboutés est significatif d'une crispation érigée en système d'autodéfense et a même tenté de légitimer la colonisation comme un fait positif de civilisation. C'est une attitude qui n'augure pas des avancées qui devraient intervenir pour dédramatiser le rapport à la mémoire et à l'histoire afin de permettre aux nouvelles générations d'entrer dans une ère apaisée. Avec des retombées certainement plus bénéfiques que celles, par exemple, qui continuent à ce jour d'être nocives pour le Sahara algérien et les atolls polynésiens. Dans de telles conditions, le refus d'assumer ses responsabilités à grand renfort de subterfuges juridico-législatifs est une forme d'autisme.