Les archives des dix-sept expériences nucléaires françaises menées dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966 sont toujours classées « secret défense » par l'armée de l'ex-puissance coloniale. Les participants au colloque international sur les conséquences des essais nucléaires, clôturé hier à l'hôtel El Aurassi à Alger, ont recommandé la levée de cet interdit qui empêche toute recherche de vérité sur ce dossier. Selon Patrice Bouveret, animateur à l'Observatoire des transferts d'armes, la France officielle ne veut pas que les chercheurs arrivent à dévoiler les secrets de la fabrication des bombes atomiques. « Faux prétexte. On peut bien fractionner les informations », dit-il. Il faut, d'après lui, obtenir la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat. Les victimes des essais en Polynésie et en France ont déjà déposé plainte contre X. Outre la désignation des responsables, la plainte contre X doit permettre la création d'un fonds d'indemnisation des victimes des essais alimenté par des fonds publics. L'autre objectif est de créer une jurisprudence favorable pour les victimes au travers d'une demande d'indemnisation devant les différentes juridictions compétentes en fonction du statut (...) des personnes concernées », a relevé Patrice Bouveret. Interrogé en marge du colloque, Mohamed Chérif Abbès, ministre des Moudjahidine, qui était absent le premier jour des débats, a estimé que l'indemnisation doit être une demande de la société civile. « Il faut préparer la demande à travers une commission qui réunit experts, universitaires, médecins et historiens pour obtenir ce qui doit l'être », nous a-t-il déclaré. Il n'a pas précisé dans quel cadre la commission doit activer. Officiellement, l'Etat algérien n'a pas encore demandé réparation pour les victimes des essais de Reggane (Adrar) et d'In Ecker (Tamanrasset). Azzedine Zalani, universitaire, a souligné, dans une intervention, la difficulté de faire aboutir les plaintes pour criminaliser les tests atomiques et obtenir réparation. « L'étude de la jurisprudence des tribunaux français démontre que les poursuites engagées par les populations, qu'elles soient victimes civiles françaises ou algériennes ainsi que celles entreprises par le personnel militaire ou les vétérans, se heurtent invariablement à des questions liées à la détermination du lien de causalité entre ces essais et les dommages causés », a-t-il observé. D'où la nécessité, selon Patrice Bouveret, de textes de loi clairs qui précisent les procédures et les indemnisations. D'après Azzedine Zalani, la Cour internationale de justice (CIJ) peut être compétente en matière de réparation. Les conséquences de la Gerboise bleue (testée le 13 février 1960 à Reggane) et de ces trois sœurs sont terribles. Kadhim El Aboudi, expert qui a mené une enquête avec des étudiants de l'université d'Oran, a parlé d'un nombre anormalement élevé de cas d'avortements, de cancers, de stérilité et de malformations congénitales dans la région étudiée. « Ce n'étaient pas des essais, mais de véritables explosions nucléaires militaires à spectre large », a-t-il relevé, laissant entendre l'existence d'une éventuelle participation israélienne à ces essais menés à l'air libre. Il a critiqué l'attitude passive de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont le siège est à Vienne, par rapport aux retombées sur l'environnement et sur la santé des populations. « L'AIEA est dominée par les puissances nucléaires », a-t-il lancé. Bruno Barrillot, auteur du livre Les irradiés de la République, a rappelé les méfaits des 40 expériences atomique « à froid », faites dans le Sud algérien, et qui sont peu évoquées. « La gestion globale des anciens sites d'essais reste à établir en s'appuyant sur le principe “pollueur payeur” et par la création d'un fonds international pour la réhabilitation et la surveillance des anciens sites d'essais nucléaires », a-t-il dit. La France est invitée à aider, au nom de ce principe, et, dans une recommandation du colloque, à prêter main-forte pour décontaminer les sites, préciser l'endroit où sont enterrés les déchets radioactifs et former le personnel devant prendre part à des opérations de nettoyage. La participation de Bruno Barrillot au débat d'Alger n'est pas appréciée par le journal français Le Figaro (proche de la droite au pouvoir). « Bruno Barillot, l'ancien prêtre reconverti dans l'antinucléaire qui a pris la tête de la croisade pour la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans les retombées des essais nucléaires en Polynésie, a effectué le déplacement », a écrit hier ce quotidien. Roland Oldham, président de l'association Mururoa e Tatou qui lutte pour les droits des victimes des essais français en Polynésie (où 193 bombes ont été testées), a appelé la France à reconnaître sa responsabilité dans ce qui s'est passé. « Nous aurons le courage de pardonner, mais la France doit reconnaître ses méfaits. Ils n'empêcheront pas de rechercher la vérité », a-t-il dit, fortement applaudi. Il a plaidé pour un travail commun entre les victimes algériennes et polynésiennes. Abdelghani Okbi, un ancien responsable de l'ALN de la région Sud, a rappelé les expériences biologiques et chimiques menées par la France à Oued Namous (Béchar) à partir de 1935.