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La dure bataille pour
Publié dans El Watan le 04 - 11 - 2008


Etats-Unis d'Amérique : De notre envoyé spécial
«Qui ? Tout le monde et personne». Ce qui reste vague. En tous les cas, de moins en moins les journaux, dont les ventes baissent avec une inquiétante régularité, paradoxalement au profit des mêmes journaux… mais en ligne. Depuis une quinzaine d'années, les quotidiens n'ont pas vu leur tirage baisser autant que durant 2008 et pour la première fois, le New York Times vient de constater que son édition en ligne a plus de lecteurs que la version papier. Avec moins de rentrées financières, puisque l'argent ne suit pas sur internet, malgré toutes les prédictions des économistes, comme l'explique Tom Rosentiel, directeur d'un projet d'excellence du journalisme et formateur en critique média : «50% du lectorat du New York Times proviennent d'internet, mais le site ne génère que 15% des revenus du journal, l'avenir rend donc perplexes les patrons de journaux. Ils ont plus d'audience mais moins d'argent.»
Oui, mais de l'argent quand même. Manhattan, au centre de New York, au siège flambant neuf du New York Times, près de Times Square, l'une des rares places au monde à porter le titre d'un journal, celui du New York Times en l'occurrence. «La vitesse est l'ennemi de la précision», se plaint encore un autre journaliste du fait qu'il faut maintenant écrire beaucoup plus et beaucoup plus vite pour alimenter la version papier et électronique à des rythmes effrayants. «On n'a plus le temps de faire du bon travail à cause de la vitesse et même de couvrir convenablement l'élection». C'est peut-être pour cette raison que le quotidien de gauche a mis 8 ans pour construire son nouveau siège, déménageant dans la 8e avenue. Une éternité par rapport à la vitesse de l'information. Mais même ici, les écrans de télévision déversent des images à une cadence infernale. Depuis que la télévision a détrôné la presse écrite et pris son rôle de faiseur d'opinion, les journalistes de la presse écrite travaillent à s'allier à internet pour revenir au centre de l'histoire.
La télévision reste la source d'informations recueillant le plus d'audience aux Etats-Unis, tandis que les Américains consultent désormais autant internet que la presse traditionnelle, indique une récente étude. Selon le Pew Research Center, 52% regardent régulièrement les journaux télévisés des grandes chaînes nationales, et 39% les chaînes d'information du câble. Mais le premier chiffre a tendance à décliner et le second à augmenter, et 37% des Américains consultent internet trois jours ou plus dans la semaine pour s'informer (contre 29% en 2004, et 23% en 2000). Ce qui ne veut rien dire fondamentalement, puisque la même étude révèle que le scepticisme, vis-à-vis des médias, est élevé et en constante augmentation. Sauf que si les Américains ont plus confiance dans les journaux papier. Pour la télévision, ils font plus ou moins confiance à CNN (30% contre 42% en 1998) et à CBS (29%), une chaîne plus crédible grâce à son excellent magazine d'information 60 minutes. Pourtant, la guerre de l'information est loin d'être terminée, l'élection américaine qui se termine aujourd'hui ressemble à celle de Kennedy, où l'invention de la télévision dans les années 60 avait bouleversé les campagnes électorales et la façon de s'adresser à l'électorat. Dans le cas du duel Obama-McCain, la généralisation de l'internet pourrait être à l'élection ce qu'a été l'invention de la télévision. Car les gens lisent leurs médias sur internet, s'informent sur internet et votent même par internet.
La vieille presse du Nouveau Monde
A Washington, capitale fédérale, il est de notoriété publique que le prestigieux Washington Post «nomme» les maires de la ville par des campagnes franchement partisanes. Délit d'opinion ? Oui, mais pour combien de temps encore ? Phil Bennet, rédacteur en chef du quotidien, se plaint lui aussi des baisses de tirage, même si, par ailleurs, il annonce 200% d'augmentation de croissance d'audience sur le site du journal. Tout va donc assez bien, même si tous regrettent l'ancien temps. 6e rue, toujours à Washington, dans le tout nouveau Newseum, musée dédié à la presse, il y a foule, des touristes et des curieux, car, signe des temps, le journalisme commence déjà à devenir une relique des temps passés, ce qui lui vaut ce musée. A l'intérieur du vaste bâtiment, de tout et de rien, un (vrai) bout de l'immeuble du World Trade Center (est-ce de l'information ?), les unes actualisées quotidiennement des principaux journaux du monde (non, il n'y a pas El Watan), un gilet pare-balle (neuf), une (vraie) voiture de journaliste criblée de (vraies) balles et une affiche géante représentant un grand nombre de journalistes assassinés, sur laquelle figurent deux Algériens, Tahar Djaout et Youcef Sebti de l'association El Djahidya, tous deux assassinés par des extrémistes. Si les journaux privés algériens ne datent que de 20 ans, on estime l'âge d'or de la presse américaine à la période couvrant la fin du XIXe siècle et le début du XXe.
Avant, comme presque partout, les journaux étaient contrôlés par les partis politiques jusqu'à partir de 1860, où le coût d'un journal baissait de moitié tous les ans grâce au progrès technologique, ouvrant la voie à la diversité puis à l'indépendance des lignes éditoriales, le marché régulant la demande. Aujourd'hui, les quotidiens qui rayonnent sur le territoire américain ont gardé certaines traditions, celle des columnists, éditorialistes et chroniqueurs qui donnent sans complexes leur opinion de journalistes dans des espaces bien séparés de l'information et des reports qui rapportent les faits, rien que les faits. Et l'autre vieille tradition, celle de l'endossement, le soutien public à des candidats. Jusqu'à samedi dernier, le nombre de journaux soutenant Obama était de 55 contre 16 pour McCain, avec une diffusion de 5,8 millions d'exemplaires pour le démocrate contre 1,5 million pour le candidat républicain. Autre signe des temps, si Obama a logiquement reçu le soutien du Los Angeles Times, du Washington Post et bien sûr du New York Times, qui a apporté son soutien aux candidats démocrates lors des six dernières élections présidentielles, il vient de recevoir celui du Chicago Tribune, grand quotidien national qui n'avait jamais apporté son soutien à un candidat démocrate à la présidentielle. Obama vainqueur des médias. Donc, vainqueur tout court ?
L'information de demain
New York, dans le quartier de Wall Street. Commémorant le 29 octobre, l'anniversaire du terrible krach de 1929, The Wall Street Journal, le célèbre journal financier décortique les programmes économiques des deux candidats à la présidentielle. A côté, devant un distributeur automatique de journaux, où une dizaine de boîtes multicolores sont alignées, un pauvre, qui se devine à sa tenue déclassée et sa barbe hirsute, ouvre le petit panneau et en retire un journal. Car si, comme s'en plaint Jennifer Ann Heath, professeur de journalisme à l'université, «Même mes étudiants en journalisme ne lisent plus les journaux», les pauvres, eux, les lisent parce qu'ils n'ont que ça. Essentiellement des journaux gratuits, cette presse compacte qui, entre deux brèves sur un séisme en Indonésie et un attentat en Irak, inonde ses lecteurs de pages de pub qui vantent un fusil lumineux qui tire (vraiment) des marshmallows (bonbons mous) en mode rafale ou au coup par coup (existe aussi en version bazooka, 49.99 $), un distributeur automatique de billets de banque pour enfants, des pantoufles réglables (avec scratch), une laveuse de lunettes à ultrasons ou une fontaine rafraîchissante portable pour chats.
Pour Arthur Sulzberger Jr., le directeur du New York Times, journal coté en Bourse et qui voit ses lecteurs disparaître dans la segmentation du marché, la question est d'importance, puisqu'il s'agit de se demander comment rester rentable et efficace en sachant que les nouvelles générations considèrent que l'information doit être gratuite et accessible à tous ? Avec en soubassement la rude bataille de l'opinion. «Bien sûr que les médias influencent l'élection. Mais aucune loi n'interdit un traitement partisan des scrutins.» C'est probablement pour cette raison qu'à l'autre bout de New York, dans les quartiers nord plus défavorisés, The Final Call, (le dernier appel), journal de la Nation of Islam, du radical Louis Farrakhan, se vend à la criée dans le métro ou dehors, tentant désespérément de contrer le lobby pro-israélien, très influent à New York. Farrakhan oui, mais combien de divisions ?
Les limites de l'empire
Le jeu est de toutes façons un peu faussé. Car ce ne sont pas les Américains qui élisent leur Président, mais un collège de grands électeurs. Le lobbying se fait donc à ce niveau et les médias n'ont pas autant de poids qu'il n'y paraît. Dan Kush, consultant en communication, explique que «le système électoral est controversé, on peut avoir plus de voix et perdre au final». Ce qui veut dire qu'il ne sert pas à grand-chose d'influencer les lecteurs, les téléspectateurs et les internautes, sauf si ceux-ci sont d'abord des grands électeurs. Autre limite de l'empire médiatique américain, celui de tout faire pour éviter les sujets qui fâchent. Comme à Austin, Texas, où dans un quartier quasi désert de ce grand désert américain, un petit groupe d'activistes de l'IVAW (Irak Veterans Against War) s'efforce de faire entendre sa voix dans le brouhaha de l'élection. Ce sont de jeunes vétérans de retour de la guerre d'Irak, déçus, outrés et humiliés, qui exigent en tant que militants anti-guerre le retrait immédiat des troupes d'Irak. «Non, aucun journaliste américain n'est venu nous voir», explique l'un d'eux, désappointé. Aucun journaliste ? «Aucun, à part vous… et Al Jazeera».
Et même si la presse écrite reste toujours plus crédible que la télévision et qu'internet, média champion des rumeurs et des fausses informations, elle possède ses propres tares. Tout le monde s'en rappelle, le New York Times, journal de référence et de gauche, avait «vendu» lui aussi la guerre en Irak. Un an plus tard, en juin 2004, le journal publiait un éditorial dans lequel il reconnaissait avoir diffusé de fausses informations en faisant confiance à l'Administration Bush. Cinq des six articles mis en cause étaient signés par Judith Miller, une journaliste considérée (plus tard) comme sans scrupules, qui fut ainsi désavouée publiquement, dépeinte par son propre journal comme une «femme de destruction massive», quand son manque de discernement avait relayé les affirmations de la Maison-Blanche sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Mais le mal était fait. Reste l'avenir, au sujet duquel les journalistes du New York Times sont confiants : «Tout va aller mieux», explique l'un d'eux. «A l'époque de Clinton, (soutenu par le NYT), c'était trop bon, son équipe et ses collaborateurs étaient de francs bavards qui nous racontaient tout, exactement le contraire de l'entourage de Bush, muets ou excellant dans l'art de la désinformation et de la manipulation.» Obama, dans l'une de ses dernières interventions avant l'élection d'aujourd'hui, a d'ailleurs promis de «changer le monde une fois élu», ce qui signifie qu'il faut aussi changer le traitement de l'information et les enjeux de la bataille de l'opinion mondiale. Obama, premier Président élu grâce aux nouveaux médias et à internet ? Peut-être. Sauf que pour sa dernière sortie médiatique, Obama s'est payé trois télévisions en prime-time, 1 million de dollars pour chacune des trois demi-heures achetées. La télévision, ça marche encore, mais peut-être pour la dernière fois. L'argent pour acheter du temps d'antenne a été amassé par Obama… sur Internet.


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