En quittant l'ex-RN 09, vers l'est, pour emprunter la route vers le village Aït-Aissa, on découvre aussitôt à la sortie du site antique Andriech, de part et d'autre de la voie, une continuité de constructions hétéroclites, collées les unes aux autres, mais annoncent déjà les inégalités sociales criantes. C'est Akkar, Aït-Akkar, rencontre de trois villages, dans la commune d'Aokas. Aux premiers occupants se sont joints Aït-Djermana et Aït-Mesbah. Conglomérat étrange de béton, à l'architecture aussi étrange, une espèce de casbah insolite ; bref, une plaie hideuse amochant horriblement un paysage d'une beauté exquise. La situation est telle qu'un architecte étranger qui y débarquerait jurerait par tous les dieux que les occupants du village ne sont pas les dignes bâtisseurs des villages kabyles qu'ils ont abandonnés. Le village connaît, depuis son implantation au début des années 1970, l'extrême dénuement, lequel trouve ses origines dans la guerre de libération nationale. Au déclenchement de la guerre, les villages Aït-Mesbah et Aït-Djermana sont le théâtre de violents combats entre l'ALN et l'armée coloniale. «En 1957, les autorités coloniales nous donnent 48 heures pour quitter le village. Ce qu'on a fait en emportant dans la précipitation tout ce que l'on peut déplacer : femmes, enfants, bêtes, quelques maigres provisions et le peu d'affaires que nous possédons. Sans cela, nous aurions tous été décimés, car déjà beaucoup de maisons ont été brûlées ou bombardées», nous raconte Da Mohand. Puis vient l'indépendance. Les familles, séparées par la guerre, et disséminées à travers les villages d'Ait-Mhand, d'Ait-Aissa à Tabellout, et hébergées dans des foyers d'accueil qui peinaient à survivre, décident de revenir dans leur village. On reconstruit sur les décombres, on défriche à nouveau les terres pour se redonner espoir et atténuer la douleur lancinante des êtres chères perdus à jamais dont on n'a même pas eu la consolation de faire le deuil, ni même de retrouver la sépulture pour ceux qui ont la chance d'en avoir eu. C'est dans cette euphorie de reconquête des villages et de retour aux terres ancestrales que l'administration naissante se rappelle au bon souvenir de ces pauvres réfugiés de guerre, à qui l'on propose Akkar comme lieu de recasement. Ni village, ni hameau, ni quartier, ni bidonville ; mais un monstre mi-urbain, mi-rural : voila ce qu'est Akkar aujourd'hui. Une jeunesse livrée à elle-même avec un taux d'échec scolaire des plus élevés de la commune et un chômage endémique. «Pour l'emploi de jeunes, nous sommes exclus, pour l'aide à la construction rurale, idem ; car nos parcelles bien que non frappées du sceau de l'illicite ne sont pas encore régularisées. A chaque élection locale, des candidats à la municipalité promettent de régler le problème alors qu'ils ne savent même pas que les terrains que nous occupons sont autorisés par un arrêté préfectoral dument établi», se plaint un jeune villageois. 54 ans après le premier novembre, on attend toujours les promesses de la Révolution. Et pourtant que de sacrifices ! Un tour au Monument aux martyrs implanté dans la cour du siège de la municipalité renseignerait sur le lourd tribut versé pour la dignité. Délaissé, oublié, marginalisé, trahi ; même transplanté à Akkar, Mesbah est toujours «zone interdite».