Il s'appelle Niddal El Mellouhi, l'enfant du théâtre de Sidi Bel Abbès, qui a incarné le rôle de Abane Ramdane dans le film sur Larbi Ben M'hidi de Bachir Derraïs. Il a joué dans plusieurs longs et courts métrages algériens et français dont le dernier La voix des Anges qui a été projeté le 2 décembre à Ibn Zeydoun, dans le cadre du Festival international du cinéma d'Alger. Portrait de celui qui incarne le charisme au cinéma algérien. «Le plus important pour moi est de garder ma liberté et mon indépendance, même si cela coûte très cher. Pour l'exemple, je suis blacklisté par certaines productions françaises pour avoir refusé de jouer des rôles négatifs sur les Arabes. Ce n'est qu'ainsi qu'ils aiment nous représenter. Mais bon, la liberté s'arrache et ne se donne pas. J'ai décidé, depuis, de me produire et de ne faire que des projets qui m'intéressent et qui intéresseraient mon public», confie Niddal El Mellouhi, comédien algérien, installé depuis plus d'une quinzaine d'années en France. Charismatique avec sa présence qui ne laisse personne indifférent. C'est l'histoire qui commence à Sidi Bel Abbès, à l'ouest d'Alger, dont le cheminement parvient jusqu'en Occident. Enfant de l'école du théâtre de la petite Paris, comme on appelait Sidi Bel Abbès à l'époque, Niddal El Mellouhi a joué dans plusieurs films cinéma en Algérie comme en France, a incarné à plusieurs reprises des premiers rôles de courts métrages et a écrit plusieurs textes de théâtre dont son dernier Le Retour, qui parle de l'immigration, l'un des ses sujets préférés. Né de parents instituteurs, en 1972 à Sidi Bel Abbès, Niddal est de mère belabésienne et de père syrien, originaire de Damas. Il découvre le théâtre, par pur hasard, avec ses amis au lycée, à l'âge de 15. Il rejoint une troupe amatrice Kalima et participe avec elle dans plusieurs projets. Bel Abbès, ville qui a accueilli le grand Kateb Yacine, était connue à l'époque comme Mostaganem, pour le théâtre où il y avait rien que dans sa ville, plus de 60 troupes. Il quitte Kalima pour rejoindre, deux ans plus tard, une troupe semi-professionnelle, Arsenic, qui était en coproduction avec le théâtre de Sidi Bel Abbès et avec laquelle, il a eu beaucoup de prix nationaux et internationaux. Il rencontre en 1995, à Oran, le comédien et l'homme de théâtre, Ahmed Benaïssa, au Festival du théâtre maghrébin dans lequel il a participé avec la pièce Destination cratère de Chicago, de l'écrivain américain Ray Bradbuy, mise en scène par Azzedine Abbar. La pièce a eu un succès en remportant, à la fois, les prix du meilleur spectacle, meilleure mise en scène et meilleur premier rôle. Ahmed Benaïssa prend la direction du théâtre de Sidi Bel Abbès et met dans son équipe Niddal qui signe, là, ses débuts dans le monde du théâtre professionnel. Indochine Dès lors, il monte une nouvelle pièce du même auteur et avec le même metteur en scène. Adapté du texte de Bradbuy, Costume Blanc à la couleur de la noix de coco, le spectacle, Quatre en un, a été même présenté à l'extérieur du pays. Puis, il empoche son premier rôle dans le cinéma avec le défunt Amar Laskri dans son film, Fleur de lotus dont une partie est tournée au Vietnam. Niddal, qui joue le rôle principal de Ali l'Indochine, met ainsi ses premiers pas dans le 7e art. Après quelques tentatives à la télé, il démissionne du théâtre régional de Sidi Bel Abbès en 1998 et crée l'une des premières compagnies de théâtre indépendant, baptisée Tinhinan, avec le comédien Bellahia Abdelkader, le journaliste et scénariste Hmida Ayachi et le metteur en scène Azzedine Abbar. Hmida Ayachi leur écrit plusieurs textes, dont celui de Adil et Habil avec lequel ils ont fait le tour des théâtres régionaux et internationaux. En 2000, il fait partie des artistes qui ont été derrière l'initiative de la création d'un syndicat autonome des artistes. L'art en Algérie vivait ses moments les plus difficiles, notamment après la décennie noire où les artistes étaient eux aussi la cible des terroristes. L'initiative n'a pas abouti. Niddal, déçu, prend une décision qui changera sa vie. «Le mouvement a, malheureusement, implosé de l'intérieur, car certains de nos artistes ont pris l'habitude du confort et du salaire mensuel. L'indépendance et l'autonomie artistique leur faisaient peur», se souvient-il. Profitant d'une coproduction entre Tinhinan et le théâtre de 13 Vents de Montpelier, Niddal décide de s'installer en France, au début des années 2000. Ce n'était pas un choix facile pour lui, mais l'expérience du syndicat et son parcours artistique notamment dans les années noires, l'ont conforté dans sa décision. Il décide de ne plus revenir. «J'ai remonté quelques anciens spectacles en langue française. J'ai joué dans quelques-unes aussi. Mais je n'ai pas tardé. L'expérience que j'ai vécu en Algérie m'a dégoûté. J'ai décidé de faire le vide et de faire autre chose. J'ai donc abandonné le théâtre pour quelques années», avoue-t-il. Et d'ajouter : «Est-ce que vous vous rendez compte qu'il y a qu'en Algérie où l'artiste n'a pas de statut ! C'est incroyable ! Nous sommes en 2018 et rien n'a changé pour nous. Je voulais faire quelque chose pour le théâtre et les artistes en Algérie, mais dommage. Cela m'a fracassé !», fulmine-t-il. Blindé La décennie noire a beaucoup marqué Niddal, qui dit «ne pas pouvoirs s'empêcher d'évoquer cette période difficile pour tous les artistes algériens, notamment ceux qui ont continué à travailler sous les menaces et les balles des terroristes». «Effacer le vécu est un crime. On ne peut pas l'oublier», explique-t-il. Avec sa troupe Tinhinan, Niddal faisait le tour des villages dès leur libération par l'armée algérienne. «Je me rappelle d'un village de Aïn Defla. On est parti avec des renfort, dans des camions blindés. Quand on est arrivé, on a été accueilli par une foule monstre, alors qu'on n'était même pas connus. Dans ce village d'El Amara, il n'y a rien. Ni télé ni structure. Mais il y avait un monde fou. On ne pouvait même pas rentrer. On était dans un centre culture qui venait de rouvrir. On a présenté une pièce pour adultes et une autre pour enfants. Là, Je me suis dit, que je servais finalement à quelque chose. Je ne pourrai pas les oublier», insiste-t-il. Faire ce métier c'est aussi prendre des risques, comme le si bien vécu par Niddal qui raconte une anecdote de Saïda. «C'était lors du tournage en Algérie de Fleur de lotus à Aïn Lahdjer, à Saïda, en 1997. Il y avait une scène où dans laquelle je devais m'égarer dans la forêt. Les militaires m'ont déconseillé de le faire, de peur pour ma sécurité. Laskri a insisté et je l'ai fait. J'ai dû partir dans un blindé militaire. Les militaires ont mis Hasni à l'intérieur. C'était magnifique. Sauf qu'on nous a tiré dessus. Les terroristes n'étaient pas loin. Mais malgré tout, j'ai insisté et je suis descendu après que les tirs ont arrêté. Le blindé a fait demi-tour et j'ai fait la scène. C'était de la folie», se rappelle-t-il. Festival Ce n'est qu'en 2004 que Niddal a repris goût à la scène. Il est depuis 2005 intermittent de spectacle en France où il a travaillé des Shakespeare et des Molière dans différents styles. En 2006, il rentre à l'école prestigieuse, Chaillot, avant qu'elle ferme. Depuis, Niddal a joué dans plusieurs films français, dont Otage à Bagdad, Envoyée très spéciaux ou Secret défense. Entre-temps, il a monté un autre spectacle qu'il a appelé Cité H, un mélange entre le clown, le théâtre engagé et le bouffon avec qui, il a fait une tournée en France et une participation au prestigieux festival d'Avignon en 2009. En 2010, il a joué dans la pièce Dialogue qui raconte la rencontre entre l'ethnologue française Germaine Tillion et Yacef Sadi à La Casbah. Niddal a joué le rôle de ce dernier ; une pièce qui a tourné jusqu'en 2017. Il a aussi joué dans plusieurs courts métrages dont L'ombre d'un rêve, de Ines Cheriet, Une femme et un fer à repasser, de Pierre Marcel qui sera projeté cette semaine au festival Court Roulette en France. Quant au dernier film où il a joué, La voix des Anges, de Yaiche Hamid, a été projeté, quant à lui, le 2 décembre à Ibn Zeydoun, au Festival international du cinéma d'Alger. Mais on ne peut raconter Niddal sans évoquer ses passages avec le talentueux humoriste français d'origine algérienne, Mohamed Nouar. Niddal apparaît souvent dans vidéos là où on le voit dans différents rôles, ce qui le met dans un autre registre, la comédie. Le dernier où il a incarné le père de la fiancée de l'humoriste a eu 7 millions de vues sur la page facebook de Nouar. «C'est une nouvelle expérience. Elle est bien particulière. Mohamed Nouar est un ami avant tout. J'ai déjà vu des capsules de lui. Quand il m'a sollicité, j'ai directement accepté, car il est professionnel dans ce qu'il fait. Ses textes sont très bien écrits et véhiculent toujours des messages. C'est un génie», avoue-t-il. Puis, il incarne le rôle de Abane dans le film de Bachir Derrais sur Larbi Ben M'hidi. Bachir le contacte et lui propose le rôle de Ben Bella avant qu'il ne change d'avis quand il a vu d'autres projets de lui. Il lui propose, cette fois-ci, d'incarner le personnage de Abane, ce que Niddal a majestueusement réussi à faire. Ce dernier est parvenu à nous faire illustrer Abane, notamment son caractère déterminant et la force de son charisme. «C'était, certes, un défi mais je me suis beaucoup amusé en jouant le rôle de Abane. C'était un honneur pour moi d'incarner ce personnage aussi difficile et dur. C'est là aussi que je l'ai découvert. Il m'a rappelé un peu mon caractère quand j'étais en Algérie. Il était, quand-même, l'architecte de la guerre de la Révolution algérienne. Et ceci, ce n'est pas rien», assure-t-il. Le cinéma algérien n'est pas dans sa forme. Le statut de l'artiste est toujours sujet de débat. Niddal le regrette et critique : «Il n'y a plus d'identité algérienne dans les œuvres que nous faisons. Il faut le dire, l'arabe n'a jamais était notre langue. Nous, nous avons l'Algérien et tamazight. Il faut parler aux gens dans leurs langages. Et puis, qu'ils arrêtent de monter des spectacles pour eux et pour leur ego. Qu'ils le fassent pour le public. Certains disent qu'il n'y a pas de public. Mais il faut aller le chercher. Nous, ce sont nous qui l'avons cherché. Maintenant, les gens ont les poches pleines. Ils se cassent plus la tête», s'emporte-t-il.