Toulmout, un village situé à une vingtaine de kilomètres à l'ouest du chef-lieu de la commune de Béni Amrane, dans la wilaya de Boumerdès, est viscéralement lié à la fabrication de la chaussure artisanale. Les marchands détaillants de l'Est ou de l'Ouest de l'Algérie connaissaient parfaitement ce village. « Les racines de ce métier dans la localité remontent au tout début du XIXe siècle, avant même que l'Algérie ne soit colonisée par les Français », dit âami Ali, un vieux de 75 ans. Âami Rabah, un autre vieux, ajoute : « Ce métier se transmettait de génération en génération. » Tout récemment encore, dans les années 1980, les fabricants de la région dits « les sbabtis » sillonnaient toutes les villes d'Algérie pour vendre leurs produits. A aucun moment ils n'ont trouvé des difficultés à écouler leur chargement pendant leurs brèves tournées dans les plus grandes villes du pays. Au milieu des années 1980 à Toulmout, quatre personnes sur cinq de la population locale et des environs étaient employées dans un atelier de confection de la chaussure. Tellement la commercialisation de ce produit était florissante et très rentable, des petits ménages se sont rués vers leurs caves pour les aménager en petits ateliers qui sont devenus en un laps de temps des mines d'or. Pendant les vacances, des lycéens, des étudiants et même des collégiens profitaient pour faire des économies. Ceux qui ne réussissaient pas dans leurs études faisaient de leur travail saisonnier un métier durable. « Comment ne pas y penser alors qu'un artisan pouvait gagner jusqu'à 3000 DA par semaine. Une somme équivalant à un mois de salaire », nous a raconté un ancien artisan. « Grâce à ce métier, les villageois ont pu nourrir leurs familles, soigner les malades, construire des maisons et fonder des foyers au moment où les autorités les ignoraient complètement », nous dit un habitant. La population a malheureusement assisté au déclin de ce qui était sa source de prospérité. Le terrorisme a été la cause directe de cette mort clinique du commerce de la chaussure. Devant la menace des groupes armés les commerçants ont dû mettre en veilleuse leur activité. Quelques propriétaires qui n'ont pas abdiqué au diktat des intégristes islamistes ont vu leurs maisons partir en fumée. Une solution s'est alors imposée : la fermeture des ateliers. Les artisans ont jusqu'à aujourd'hui des problèmes avec les services des impôts. On leur applique même des pénalités de retard. L'exemple qui illustre parfaitement ce cas est celui de âami saïd. Ce sexagénaire se dit « perdu à cause de ces injustices ». Lui qui est resté plus de trois ans à se soigner suite à un accident en 1986 est endetté de plus de 120 millions de centimes, malgré ses demandes de radiation de son registre de commerce. « Nous n'avons même pas le droit au remboursement de médicaments car nous n'avons pas les ressources, étant sans emploi, pour adhérer à la CASNOS. Idem pour les droits à la retraite », dit-il. « Cela a lieu au moment où l'on efface des dettes des agriculteurs-importateurs qui ont acheté des voitures tout-terrain et construit des villas à Hydra », commente un habitant. A Toulmout, nous avons constaté que quelques « téméraires » ont tenté de renouer avec ce métier ancestral suite à l'amélioration de la situation sécuritaire. Mais leurs tentatives n'ont pas réussi « en raison de l'inondation du marché par la production chinoise ». Hocine, un jeune fabricant qui s'accroche pour perpétuer ce métier, travaillant sur la même machine léguée par son défunt père nous avoue qu'il ne sait rien faire d'autre. D'une autre part, Mouloud, de l'association Tahadi de la localité reconnaît que les Chinois sont imbattables dans ce domaine. Mais, « récemment la fabrication de la chaussure à Toulmout a repris pour de vrai », nous dit-on. Ainsi les balanciers, les piqueuses et les presses ont recommencé à ronronner. Timidement, il est vrai ; mais cela a suscité de réels espoirs. L'activité va-t-elle renaître de ses cendres ? « Espérons que le problème des impôts et la concurrence déloyale trouveront une solution, » a conclu un jeune du village.