Le ministère de la Jeunesse et des Sports (et des loisirs(1)) ne peut porter à lui seul le chapeau du ratage de la prise en charge d'une jeunesse qui représente plus de la moitié de la population algérienne et dont les besoins réels devraient être satisfaits par les lois de finances annuelles à raison de ratios et quotas relativement proportionnels du point de vue démographique. L'échappatoire démagogique «des remises à l'ordre de la Banque mondiale et du FMI sur la non-rentabilité économique» de nos enfants dans les secteurs éducatif, sportif et récréatif relève plus d'une cabale de banqueroutards et de leurs mandants pris en flagrant délit d'émigration clandestine de capitaux faramineux vers les sous-traitants et prête-noms des deux organismes sus-cités…, ressources qui ont été léguées par la génération de Novembre et qui auraient pu être investies à moyen terme pour éviter les distorsions actuelles, causes potentielles du malaise latent de centaines de milliers de jeunes en danger existentiel. Le phénomène socioculturel que représente le sport sous-tendu par un autre plus important et stratégique, comme celui de la jeunesse, reste dans tous les pays du monde une affaire de spécialistes, d'universitaires, de chercheurs et de praticiens/éducateurs responsables en dernier recours du cadre opératoire. Du point de vue structurel, tous les ministères sont partie prenante (y compris celui de la Défense nationale) dans la prise en charge de la jeunesse, des sports et des loisirs, sans oublier le secteur associatif issu de la société civile ainsi que le secteur privé. Aux USA, il n'y a jamais eu de ministère de l'Education nationale ; cela ne les a pas empêchés d'être à l'avant-garde de la recherche en éducation dans le monde. L'université algérienne est interpellée, quarante années après l'indépendance, sur son absence dans les créneaux filières/cursus ciblant cette catégorie (classe modale) de la population et… sa gestion de cursus/programmes en inadéquation avec les besoins réels d'une planification en termes d'investissement structurant et récurrent. Il est vrai qu'elle a pris enfin en charge la formation des licenciés en sport ces dernières années, mais elle reste timide et effarouchée par le cursus des licences en animation et des DES (diplôme de l'enseignement supérieur) en sciences des loisirs, comme cela existe en France et au Canada, alors que — ironie du sort — les compétences existent même à l'université d'Oran au niveau des différents départements et facultés (sociologie, psychologie, lettres et théâtre, information et communication). Nous n'omettrons pas de signaler que le CRASC(2) d'Oran a commencé à traiter le phénomène au niveau de la recherche dans le secteur associatif et la médiation sociale. La duplication de ces stages, qui ciblent actuellement des formateurs, fonctionnaires et commis de l'Etat et cela au niveau de l'enseignement gradué, ne ferait que réparer l'absence de prospective dans les années 1960 et 1970 sur ce déficit en encadrement et formation des jeunes par l'investissement d'un budget en adéquation avec les besoins/problèmes de masse qui caractérisent l'avenir de l'Algérie… nos enfants et les vôtres ! Nonobstant la «noblesse épistémologique» de toute entreprise à caractère socioéducatif et scientifique qui vise à l'amélioration de la formation de l'encadrement des activités de jeunesse et des sports, il y a lieu de se poser les deux questions suivantes : 1- Le ministère de la Jeunesse et des Sports peut-il à lui seul avec ses ressources humaines et matérielles assumer la prise en charge socioéducative, récréative (loisirs) et sportive de plus de la moitié de la population, là où les pays émergents n'ont réussi qu'en mobilisant toutes leurs institutions et société civile ? 2- La tutelle pédagogique universitaire sur les cursus et programmes des futures licences, mastères et doctorants en animation socioéducative peut-elle être valide et fiable pour labelliser les formations supérieures professionnelles, si elle n'intervient pas dans l'organisation et le fonctionnement des établissements sous tutelle du MJS ? Considérant que cette entreprise gigantesque qu'est la prise en charge extrascolaire (Georges Friedmann innove en 1966 en lançant le concept de l'Ecole parallèle(3)), socioéducative et culturelle de masse nécessite une mobilisation budgétaire et humaine des secteurs ministériels utilisateurs, il apparaît clairement que la résolution de cette problématique ne peut être que gouvernementale, globale, intégrée et complémentaire en termes de division du travail et de spécialisation des tâches… Toute entreprise sectorielle, monopolistique et même corporatiste ne fera que prolonger et aggraver le phénomène psychosocial qu'est la marginalisation de la jeunesse algérienne d'aujourd'hui qui se traduit déjà en pathologie «sociopolitique» sous forme d'émeutes violentes et de banditisme armé. Les secteurs ministériels concernés, engagés dans cette gestion de la masse juvénile suivant un processus de développement et longitudinal tant sur les plans scolaire et éducatif, sanitaire et sportif, culturel et récréatif et enfin sociopolitique ne peuvent que travailler en étroite collaboration et synergie synonyme de système scolaire, éducation physique et santé mentale, culture et loisirs, apprentissage et insertion socioprofessionnelle enfin citoyenneté et vie associative. L'université algérienne, de par ses départements en sciences sociales, humaines, exactes, médicales, juridiques et technologiques ainsi que ses laboratoires dans les différents centres de recherche a l'obligation du résultat, c'est-à-dire s'impliquer dans cette élaboration des «curriculums/programmes» de formation de l'encadrement des activités de jeunesse et des sports. Aussi faudrait-elle qu'elle ait exploité les recherches sur le phénomène juvénile en Algérie et mobilisé ses compétences sur ce vecteur stratégique ? L'intervention du président Bouteflika au début de l'année 2007, à Addis-Abeba, devant le Forum arabo-africain sur l'implication du phénomène de la jeunesse et des sports dans les relations internationales (et les rapports Nord-Sud), ne fait que justifier l'intérêt que doivent porter nos institutions législatives et exécutives à ce vecteur stratégique à l'intérieur du pays. «En Amérique, un des aspects les plus caractéristiques et les plus révélateurs est la crise périodique de l'éducation qui, au moins pendant ces dix dernières années, est devenue un problème politique de première grandeur, dont les journaux parlent presque chaque jour…» d'Hannah Arendt(4). Notes de renvoi : 1- L'unique direction de la jeunesse, des sports et des loisirs du territoire national se trouve dans la wilaya d'Alger. 2- CRASC : Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle. 3- Louis Porcher : Vers la dictature des médias, Hatier, Paris 1976, page 49. 4- Hannah Arendt : La Crise de la culture, Gallimard, 1972, La crise de l'éducation, page 223.