Le constat du président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) est sans appel : le monde politique français demeure hermétique à la diversité. Patrick Lozès exige une politique volontariste pour donner un peu de couleur à un univers monocolore. Vous avez fait un calcul très précis sur le nombre des candidats issus de la diversité (ou des minorités visibles, autre euphémisme) aux européennes. Le constat est, pour le moins, très contrasté. Quatre à cinq candidats éligibles pour les deux grands partis politiques. On est loin de l'effet Obama… Les résultats de notre étude font apparaître que la présence de la diversité sur les listes des partis politiques pour ces élections européennes est très modeste. L'effet Obama n'a pas duré longtemps… Les partis politiques ont déjà oublié les promesses faites au lendemain de l'élection de Barack Obama. Le monde politique français ne s'ouvre toujours pas à la diversité. Le « Yes, we can ! », scandé y compris par les responsables de partis politiques au lendemain de la victoire d'Obama, est devenu : « Oui, mais pas tout de suite ! » Les minorités visibles, de même que l'ensemble des Français, ne veulent plus attendre, car les êtres humains n'ont qu'une vie. Il est temps que les responsables politiques français mettent leurs actes en conformité avec leurs déclarations et militent activement pour la diversité. Vous avez théorisé la discrimination indirecte dans le monde politique. De quoi s'agit-il ? La discrimination indirecte ne juge pas de l'intention d'écarter un individu sur la base d'un motif prohibé par la loi, mais juge du résultat. Le résultat, nous l'avons vu, est inquiétant. Le monde politique ne peut plus dire : « Nous ne savions pas. » Dès lors que le monde politique est conscient de l'existence de discrimination criante en son sein mais qu'il s'enferme dans un immobilisme coupable, on est en droit de parler d'une scandaleuse discrimination indirecte. Quelle est votre position sur les statistiques ethniques prônées par Yazid Sabeg ? Yazid Sabeg recommande que la France s'engage dans la mise en œuvre d'une mesure de la diversité et des discriminations. Je suis satisfait de ce que je considère comme une mise en œuvre des promesses de campagne de Nicolas Sarkozy. Après le rapport rendu par M. Sabeg au président de la République, j'attends des actes. J'attends la mise en place des statistiques de la diversité. J'attends la mise en place de mesures d'action positive : une autre promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. Je suis favorable à une action positive à la française, sur une base territoriale. Au passage, je récuse, comme M. Sabeg, la référence systématique à l'ethnie, dans le débat public, dès qu'il est question des Français de la diversité. Ce renvoi constant à une notion inexistante dans le contexte français et largement fantasmée renvoie à un état semi-primitif : une ethnie est souvent associée à tribu, et on imagine sans peine un village perdu dans la brousse. L'homme politique français est plutôt blanc, quinquagénaire, hautement diplômé. Que faut-il faire pour apporter un peu de couleur dans l'hémicycle monochrome ? Seules des mesures fortes lèveront les conservatismes en matière de diversité dans le champ politique, c'est pourquoi je demande le conditionnement des remboursements des dépenses électorales aux partis politiques à des exigences minimales en matière de diversité, une limitation plus stricte du cumul des mandats (en nombre et en durée) et la signature par l'ensemble des partis politiques français d'une Charte de la diversité en politique Barack Obama vient de nommer Sonia Sotomayor, d'origine portoricaine, à la Cour suprême des Etats-Unis. A quand un Noir ou un Arabe, en France à un poste aussi, symbolique ? Quelles sont les différences d'approche sur ce point entre le président américain et Nicolas Sarkozy ? Barack Obama montre qu'il a compris que les minorités étaient une chance pour son pays. Le président Sarkozy devrait aussi comprendre qu'en France les minorités visibles sont une chance pour sortir de la crise. Les millions de nos concitoyens des minorités visibles représentent une richesse inentamée, qui n'attend qu'une volonté politique pour être valorisée. Je déplore la fuite des cerveaux, qui fait que de jeunes diplômés bac+5 en commerce ou bac+6 en finances partent à l'étranger pour obtenir des emplois que la France leur refuse ou pour créer leur propre entreprise. C'est un gâchis épouvantable. Il se trouve aussi que les dispositifs d'aide à la création d'entreprise ou à la formation ne sont pas connus d'une partie non négligeable des Français des minorités visibles. C'est la raison pour laquelle, je propose à Nicolas Sarkozy de créer l'Ageediv (Agence entreprendre et employer dans la diversité) pour informer et aider les chômeurs ou les créateurs d'entreprise, notamment issus de la diversité. Il y a plusieurs initiatives pour la diversité, mais on a du mal à voir une politique cohérente… J'ai lu dans la presse qu'on disait que M. Sabeg empiétait sur le territoire de plusieurs ministères, celui de Fadéla Amara pour le Plan banlieues, celui de Martin Hirsch pour la Jeunesse, celui d'Eric Besson pour l'Intégration, etc. Tout cela ne reflète qu'une chose : il y a un vrai problème de méthode dans la stratégie de la diversité du président Sarkozy. Je lui propose de créer un seul ministère de la Diversité, qui regrouperait toutes les initiatives, publiques et privées, en matière de diversité. Voilà une mesure forte qui irait beaucoup plus loin que les nominations d'un tel ou d'une telle au gouvernement. Il faut que la France entre dans un âge moderne de lutte contre les discrimination, pour combler son retard avec les autres pays développés, notamment les Etats-Unis. Les Noirs sont-ils des Français à part entière ? Par Patrick Lozès et Bernard Lecherbonnier. A dire vrai/Larousse, mars 2009, 160 pages.