Exiger plus qu'eux, c'est de la démagogie ; moins, c'est de la trahison», avait répondu Boumediène à Henry Kissinger, secrétaire d'Etat du gouvernement républicain de Richard Nixon, lors de sa 2e grande tournée au Moyen-Orient, en décembre 1973. Georges Habbache, fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) ne tarissait pas d'éloges sur le rapport de l'Algérie aux Palestiniens. «Depuis son indépendance, l'Algérie a toujours soutenu le camp palestinien. Alger est même l'un des rares pays à s'être rangés d'une façon claire aux côtés du peuple palestinien», avait-il raconté dans ses mémoires qu'a publiés le journaliste Georges Malbrunot. C'est à Alger, lors d'un sommet arabe extraordinaire, que l'Organisation de la libération de la Palestine (OLP) avait gagné le statut de «représentant unique et légitime du peuple palestinien», dont le Conseil national palestinien avait adopté les décisions les plus décisives. C'est à Alger que l'acte de naissance de l'Etat palestinien a été délivré. Selon Habbache, c'est à partir de 1975 que Boumediène «a renforcé les relations» entre Alger et le FPLP. Datée de 1975, la première rencontre entre les deux hommes avait tourné autour d'une révélation. Boumediène «se montra très clair avec moi». Pour la circonstance, il «avoua avoir jadis conseillé à Arafat de liquider les dirigeants de toutes les autres factions palestiniennes, y compris ceux du FPLP», selon George Habbache. Pour quelles raisons le chef du Conseil de la révolution avait-il «vendu» au chef de l'OLP l'idée de liquidation physique ? Réponse de Habbache : «Pour Boumediène, en effet, la lutte ne pouvait aboutir s'il existait des divisions entre nous. A l'image de la guerre d'Algérie et du FLN, il recommandait le parti unique, dirigé par une seule tête. Boumediène avait donc conseillé à Arafat de me liquider», rappelle le leader du FPLP sur le ton de l'exclamation. «Il changea ensuite de point de vue quand il comprit mieux ma position à la tête du Front populaire. Je n'oublierai pas non plus son voyage à Moscou en 1973, lorsqu'il demanda aux Soviétiques d'aider les armées arabes – en premier lieu l'Egypte – à affronter Israël», a noté Habbache, en précisant son témoignage. «Boumediène me répétait souvent que Arafat devait clarifier sa position sur Sadate, car elle était ambiguë.» Selon lui, les Algériens «se montrèrent présents dans les moments politiquement difficiles» pour le FPLP et les Palestiniens. A un journaliste d'Afrique-Asie, qui lui demanda, lors de son premier entretien en 1971, comment il analysait la situation face à l'agression israélienne, le président Boumediène répondra : «L'Algérie a entrepris sa révolution armée, alors que tant d'autres ne l'ont jamais fait. Nous ne recherchons pas le majd (la gloire) ni les ‘'victoires'' de propagande. Nous disons simplement que nous sommes disposés à tous les sacrifices nécessaires pour soutenir et faire triompher la cause palestinienne. La nation arabe est aujourd'hui à un carrefour. Ou bien elle choisit la lutte, avec tout ce que celle-ci comporte de sacrifices et de privations ou, alors, elle remet en question son existence même…» Il s'aliène, en 1977, les pays arabes du Golfe auxquels il dénie la qualité même d'Etat nominal et assène de virulentes critiques aux autres pays arabes, qui cherchent à instrumentaliser la cause palestinienne à des fins strictement partisanes. Ainsi, pour Boumediène, les Palestiniens, pour recouvrer leurs droits légitimes, devaient suivre l'exemple de l'Algérie et s'engager pleinement dans la lutte armée. L'autodétermination, un principe sacré Pour ce qui est de la question sahraouie, le président Houari Boumediène se montra intraitable sur le chapitre des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est ainsi qu'il avait soutenu le droit des Sahraouis à l'autodétermination et contribua même à la création de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). C'était sous sa houlette que la cause sahraouie était inscrite aux Nations unies. Dans son étude Houari Boumediène où l'histoire d'un destin contrarié, l'universitaire Ali Mebroukine écrivait : «Au Maghreb, le président Boumediène se montre intraitable sur le chapitre du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, contribuant à la création de la RASD après avoir fait une interprétation a maxima de l'avis consultatif de la CIJ du 16 octobre 1975 qui avait considéré qu'il n'existait pas de liens de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental et le royaume du Maroc, d'une part, l'ensemble mauritanien, d'autre part.» C'est ainsi que les relations entre Alger et Rabah sombrèrent assez tôt dans l'état de belligérance (Amgala I et Amgala II) et devinrent foncièrement conflictuelles avec la Mauritanie (après les menaces personnelles adressées par Boumediène au président Ouled Daddah auquel il rappelle l'appui de l'Algérie à l'indépendance de la Mauritanie et l'aide multiforme qu'elle n'eut de cesse d'apporter au peuple mauritanien). Alors qu'il répondait à Hassan II qui le sommait de choisir «entre une guerre loyalement et ouvertement déclarée et une paix internationalement garantie», le président Boumediène estimait que «ce qui est en cause, c'est le droit à l'autodétermination, principe sacré, intangible, reconnu par toutes les instances internationales, un droit qui, dans le cas du Sahara occidental, a été bafoué». Dès le lendemain de l'accord de Madrid, le ministère algérien des Affaires étrangères avait publié un communiqué exprimant sa position sur ce point. «Le moment est venu, dit ce texte, de redire, avec toute la clarté nécessaire, que l'Algérie ne saurait renier l'acquisition la plus chère des peuples et le principe cardinal des Nations unies que représente le droit à l'autodétermination. Alger ne saurait entériner quelque solution que ce soit à l'élaboration et à la mise en œuvre desquelles elle n'aurait pas été associée au titre de partie concernée et intéressée.» Ce droit à l'autodétermination, Alger rappelle qu'il a été proclamé en ce qui concerne le Sahara occidental par les Nations unies dans de multiples résolutions, par l'Organisation de l'Unité africaine mais aussi par plusieurs «sommets maghrébins auxquels participaient le roi Hassan II et le président Ould Daddah». Paul Balta, journaliste correspondant du Monde de 1973 à 1978 à Alger et qui avait couvert les conflits israélo-arabes (1967-1973), ceux du Kurdistan et du Sahara occidental et la guerre Irak-Iran (1980-1988), avait témoigné que Boumediène lui avait confié, dans leurs conversations sur le Polisario, que l'éclatement du conflit du Sahara occidental lui avait fait prendre conscience de la nécessité du renforcement du potentiel opérationnel de l'armée et, donc, de la consolidation du budget d'équipement militaire. Et que, simultanément, il avait renforcé, de manière déterminante, la formation spécialisée des cadres militaires supérieurs, y compris en les dépêchant à l'étranger.