– La crise gazière a repris de plus belle entre la Russie et l'Ukraine. Quelle est votre analyse sur ce différend qui n'est pas à son premier épisode ? – Le conflit qui oppose les deux compagnies des deux pays est d'abord d'ordre commercial. La société ukrainienne Naftogaz a contracté une dette auprès de Gazprom de l'ordre de 2,2 milliards de dollars, représentant les livraisons en gaz russe à l'Ukraine pendant l'exercice 2008. Cependant, les livraisons russes pour l'Ukraine ne représentent que 25% du volume global des besoins ukrainiens. Les 75% restants proviennent du Turkménistan grâce à la société mixte russo-ukrainienne RosUkrEnergo. Lorsque l'Ukraine était dans le giron de l'URSS, ce pays bénéficiait d'un gaz à prix très réduit – 50 dollars pour 1000 mètres cubes – il y a de cela un peu plus de huit ans. La Russie a exigé par la suite l'alignement du prix du gaz acheminé vers l'Ukraine sur les tarifs fixés aux pays européens, soit 240 dollars pour 1000 m3. La demande russe a été impossible à satisfaire par la partie ukrainienne, eu égard à ses ressources très insuffisantes, mais un arrangement a été conclu grâce à l'intervention de Vladimir Poutine. Ainsi, la Russie continuait malgré cela à fournir un gaz bon marché à l'Ukraine. Ce pays, faut-il le souligner, bénéficie aussi d'un gaz à un prix encore beaucoup plus réduit et ce, grâce aux acheminements depuis le Turkménistan assurés par la société mixte russo-ukrainienne RosUkrEnergo. Seulement, la Russie est dans l'obligation de discuter à nouveau un prix pour l'année 2009 avec la partie ukrainienne. Le désaccord sur le nouveau prix a été, entre autres éléments, à l'origine de cette nouvelle crise. – A quoi se résument donc les éléments d'ordre politique de cette crise ? – Il y a sans doute l'élément et/ou la connotation politique de ce conflit. Il faut prendre en compte d'abord les 80% de gaz russe acheminés vers l'Europe qui transitent par le territoire ukrainien. D'autres éléments viennent en appui à cette couleur politique qu'a prise le conflit, mettant en avant le soutien traditionnel des Etats-Unis à l'Ukraine. Cet appui est lié, évidemment, à la position ukrainienne quant à la question du bouclier antimissile que veulent implanter les USA en Europe de l'Est. Vient ensuite l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, qui n'était pas du goût des Russes, la position ukrainienne étant favorable à la partie géorgienne dans son précédent conflit avec l'Ossétie du Sud. A ces éléments s'ajoute la situation économique de l'Ukraine, sérieusement touchée par la crise mondiale. La récession est aujourd'hui incontestable en Ukraine. Son tissu industriel est en véritable danger, notamment l'industrie chimique, qui est très dépendante du gaz. Tous ces éléments représentent donc la connotation politique du conflit gazier entre la Russie et l'Ukraine. – Cette crise est-elle en mesure de présenter, dans l'immédiat, un véritable danger pour les clients européens ? Pourquoi l'Union européenne s'est-elle tenue jusqu'ici à l'écart de la crise ? – Il faut dire que l'Union européenne n'a aucunement intérêt à ce que la crise s'enlise. Si l'UE intervient d'une manière ou d'une autre dans ce conflit, la Russie pourrait mettre ceci à profit pour exercer une pression sur les Européens. Ce qui ne sera aucunement bénéfique pour les pays européens du fait de leur forte dépendance du gaz russe. D'où les efforts de l'UE de rechercher d'autres solutions pour alléger cette dépendance. Ainsi, les Européens réfléchissent déjà, à titre d'exemple, à acheminer les réserves en gaz de la Caspienne à travers l'Iran et la Turquie sans passer par l'Ukraine. En un mot, l'Europe est actuellement dans une position très difficile suite à ce conflit, mais aussi du fait que le gaz est en train de supplanter le pétrole. – Les cours du pétrole ont touché la barre des 50 dollars le baril. Selon certains analystes des marchés pétroliers, cette reprise est dopée par le différend gazier entre la Russie et l'Ukraine. Quel est votre avis ? – Cela est vrai. Ainsi, s'il y aurait coupure de gaz à la faveur de cette crise entre la Russie et l'Ukraine, le pétrole devrait venir au secours et donc les prix devront rebondir. Mais à l'avenir, le gaz est appelé à supplanter le pétrole. C'est pourquoi la Russie s'accroche depuis déjà des années à l'idée de créer une OPEP du gaz. L'opportunité s'était offerte lors de la tenue récente, à Moscou, de la conférence du Forum des pays exportateurs du gaz. Cette idée pourrait sauver la mise au pétrole, dont les prix continuent de baisser ainsi que les réserves. La Russie savait aussi qu'une OPEP du gaz la mettrait en position de force face aux pays européens. L'enjeu est donc de taille. – Justement, en parlant des prix du pétrole, quelle lecture faites-vous du niveau actuel des cours, en dépit de la réduction décidée par l'OPEP ? – La réduction décidée à Oran le 17 décembre dernier est arrivée très en retard. La décision de réduire de 2,2 millions de barils/jour la production de l'OPEP aurait dû être prise en septembre car la demande était déjà en baisse. Aujourd'hui, la récession est réelle, l'économie est en crise et plus particulièrement le secteur automobile à travers le monde. Concernant les prix, je ne pense pas que les cours continueront à chuter en dessous de 30 dollars le baril. Quant à l'hypothèse qui avance un pétrole à 70 dollars le baril en 2009, personnellement je reste pessimiste. A moins qu'il y ait de conditions particulières et/ou de nouveaux événements. L'OPEP prend toujours des décisions en retard. Il y a trop de consultations et les intérêts divergent. Il est encore possible que l'Organisation réduise sa production, mais l'enjeu demeure intact sur le plan du respect des engagements des pays membres.