Il a choisi le parti de la confrontation avec la résistance palestinienne et ses autres voisins, le Liban et la Syrie, fort du soutien inconditionnel et illimité de la superpuissance américaine. Celle-ci veut bien promouvoir la démocratie et la paix au Moyen-Orient. Il y va de ses intérêts stratégiques, mais c'est Israël qui veut dicter les conditions de la paix avec ses voisins et son protecteur évite de faire pression sur ce protégé turbulent et sûr de sa bonne étoile. Ce laisser-faire de l'Amérique peut paraître surprenant et contradictoire. L'Amérique peut-elle sacrifier ses intérêts au profit d'un petit Etat qui objectivement n'a aucun atout stratégique aujourd'hui ni une raison morale irrésistible qui justifient son soutien vital. C'est bien le cas comme l'ont démontré magistralement deux universitaires américains dans une étude publiée récemment(3). En substance, le mystère de cette relation contre-nature et contre le bon sens d'un Etat nain et d'un géant mondial n'en est pas un. Israël est protégé et aidé non pas par les administrations américaines successives depuis 30 ans, mais par le puissant lobby pro israélien qui n'est rien d'autre qu'un Etat dans l'Etat. Les juifs américains ne représentent pourtant que 3% de la population des USA, soit quelque 9 millions aujourd'hui. Mais leur puissance financière et leur influence sur la politique étrangère américaine est telle que le président américain et son gouvernement ne sont que des exécutants pour tout ce qui touche à Israël et au Moyen-Orient en général. Les intérêts d'Israël sont défendus par la puissante association juive l'AIPAC ou Comité aux affaires publiques américano-israéliennes qui poursuit deux stratégies complémentaires : contrôler l'opinion publique américaine et internationale par le biais des médias et des «think tank» les instituts de recherche américains, en présentant la meilleure image d'Israël, notamment en le décrivant comme victime, hier des nazis, aujourd'hui des Arabes. Les critiques contre ce pays qui défie la légalité internationale depuis 40 ans ne sont pas tolérées et étouffées et les auteurs qu'ils soient politiques, intellectuels ou simples journalistes sont sanctionnés chacun à la mesure de son forfait. En la matière, l'AIPAC décourage les débats publics sur Israël pour éviter tout revirement de l'opinion qui se traduirait par une baisse de soutien à son protégé. L'arme la plus puissante de l'AIPAC est l'accusation d'antisémitisme, affirment les professeurs américains. L'AIPAC utilise son influence sur les institutions politiques américaines, le congrès, le Sénat et la présidence pour faire avancer les intérêts et les objectifs israéliens. Le succès d'une telle entreprise réside dans le fait que l'AIPAC finance à plus de 60% les campagnes électorales des partis politiques américains, démocrates et républicains, pour l'élection présidentielle ainsi que celles des candidats amis aux élections législatives. Le lobby juif a acquis même la capacité d'influencer le président américain dans le choix de ses collaborateurs. Les auteurs de l'étude américaine citent le cas de Jimmy Carter qui a dû renoncer à la nomination comme secrétaire d'Etat de George BaII, sur intervention du lobby juif au Congrès, qui est considéré comme trop critique vis-à-vis d'Israël. Ce cas n'est pas isolé. La puissance du lobby juif ne se limite pas aux USA et à l'AIPAC. Elle s'étend géographiquement à l'Europe où elle domine la finance et les médias et organiquement à d'autres groupes de soutien à Israël comme la communauté chrétienne des évangélistes américains dont les leaders croient que la renaissance d'Israël est l'accomplissement de la prophétie biblique, le congrès juif mondial, l'association des juifs de France… Après la disparition du camp soviétique, Israël est considéré comme un fardeau par les administrations américaines successives, non seulement sur le plan financier mais sur le plan politique. En effet, Israël est bénéficiaire d'une aide substantielle de plusieurs milliards de dollars par an qui représente quelque 20% de l'aide étrangère américaine. Il a un accès sans limite aux technologies militaires les plus modernes. Dans la croisade contre le terrorisme, Israël est perçu comme un handicap pour la politique américaine dans la mesure où le soutien inconditionnel à l'Etat hébreu qui occupe Jérusalem et opprime les Palestiniens, aide à rallier le soutien à l'organisation d'Al Qaïda et aux groupes extrémistes contre les USA. Quant à l'axe du mal qui désigne aujourd'hui principalement la Syrie et l'Iran accusés de soutenir le terrorisme en Irak et au Liban, ils ne représentent pas de menace pour les intérêts vitaux de l'Amérique, mais seulement pour Israël dont l'arsenal nucléaire est l'une des raisons pour lesquelles hier l'Irak et aujourd'hui l'Iran veulent se doter de l'arme atomique. Enfin, la valeur stratégique d'Israël est remise en cause pour une autre raison, affirment les chercheurs ; celui-ci ne se comporte pas comme un allié fidèle des USA. Il ignore fréquemment les demandes américaines et ne tient pas ses promesses sur le dossier palestinien, notamment celle de cesser la construction de colonies et de s'abstenir des attentats ciblés contre les dirigeants palestiniens. Il a mené contre son protecteur des actions d'espionnage et livré à la Chine une technologie militaire sensible. Pourtant, contre vents et marées, l'Administration américaine continue de fournir un soutien diplomatique, économique et militaire à un allié encombrant. Certes, Israël a été un allié utile pendant la guerre froide. Il a réussi à contenir la poussée soviétique au Moyen-Orient en battant les armées arabes équipées par l'URSS en 1967 et en neutralisant l'Egypte après la guerre de 1973. Ce soutien avait un prix, une complication des relations avec le monde arabe et islamique. Israël n'a été d'aucun secours à l'Amérique quand la révolution iranienne a éclaté en 1979. De même, en 1990, les USA n'ont pas utilisé les bases israéliennes pour attaquer l'Irak de peur de nuire à l'alliance contre Saddam Hussein et il en a été de même en 2003. Après le 11 septembre 2001, l'Administration Bush a bien essayé de relancer le processus politique en panne entre Israéliens et Palestiniens, en proposant sa fameuse Feuille de route. L'opinion américaine était acquise à une paix négociée au Moyen-Orient, mais c'était sans compter avec le lobby juif actionné par le Premier ministre israélien Ariel Sharon, hostile à la relance du dialogue. Les inconditionnels d'Israël tapis dans les institutions américaines ont fini par faire capoter le projet et faute de ne pouvoir faire pression sur son allié, Bush a reculé en essuyant une défaite. Le remplacement d'Arafat par Mahmoud Abbas n'a pas changé les choses, car Israël poursuivait une autre politique et la disqualification du chef historique palestinien n'était qu'un prétexte avancé par ses adversaires juifs et américains. Aujourd'hui, plus que jamais, le chemin de la paix est bloqué sous l'œil impuissant mais par ailleurs zélé et complice des Etats-Unis. En conclusion, on peut affirmer que la politique moyen-orientale de l'Administration Bush a fait faillite en occupant l'Irak sans raison valable, en s'alignant inconditionnellement sur les intérêts d'Israël et en ignorant les droits du peuple palestinien à fonder un Etat et enfin en donnant de la vigueur à l'Islam radical. Les responsables cachés de cette faillite sont à rechercher aussi auprès du Complexe militaro-industriel et du lobby juif dont les intérêts convergent sans aucun doute. Les conséquences sur la région et ses peuples sont désastreuses, un grand nombre de pays sont déstabilisés, les peuples nourrissent une haine viscérale contre Israël et son puissant allié. Les régimes sont fragilisés par la montée de l'intégrisme et du terrorisme islamiste, rendant plus difficile l'ouverture d'une perspective démocratique. Les Etats-Unis ont perdu leur crédit moral de champions de la liberté et de la justice auprès de la majorité des peuples du tiers-monde. Les Arabes en général et les Palestiniens en particulier ne doivent plus attendre d'eux qu'ils ramènent la paix et la stabilité. Ils ne doivent compter que sur eux-mêmes et les pays amis s'ils ont la volonté de changer la situation actuelle. Une politique déterminée et unitaire des pays arabes dirigée contre la puissance américaine et son protégé est la seule capable de sortir la région de la profonde crise où elle est plongée depuis longtemps, hélas, les divisions actuelles des pays arabes sont trop grandes pour y arriver dans un terme prévisible. A moins que l'arrivée d'un Président démocrate noir à la Maison-Blanche en ce début 2009 ne refonde complètement la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, suivie depuis longtemps par les républicains conservateurs, en remettant à sa place Israël et en rendant enfin justice au peuple palestinien. Note de renvoi : 3- John Mearsheimer et Stéphan Walt. «Le lobby israélien», in Le Quotidien d'Oran du 28 mars au 2 avril 2006.